Au fil de l’eau, carnet n°23 – TRANSATLANTIQUE : Cap Vert – Martinique  Janvier 2022

Au fil de l’eau, carnet n°23 – TRANSATLANTIQUE : Cap Vert – Martinique Janvier 2022

« Laisse tes rêves changer la réalité mais ne laisse pas la réalité changer tes rêves » Mandela

Résumé des épisodes précédents :

Soa, Charles, Thierry et moi avons atterris à Mindelo au Cap Vert (ile de Sao Vicente) le jeudi 20 janvier 2022 après neuf jours de mer et un peu plus de mille milles parcourus depuis Gran Canaria.

Cette deuxième visite au Cap Vert pour Soa, Charles et moi, fait suite à celle de Janvier 2019. Cette escale est le point de conclusion du cheminement effectué le long des côtes d’Europe et d’Afrique. Du même coup, elle marque le point de départ pour un ailleurs convoité, de l’autre côté de l’Atlantique, les Antilles.

Cette nouvelle navigation m’aura permis de revoir le Portugal (Viana do Castelo, Porto que j’adore, Lisbonne), de découvrir Madère et sa petite sœur, Porto Santo, de faire connaissance avec Las Palmas de Gran Canaria (pas inoubliable). Le Sénégal, sur lequel j’avais des vues, m’échappe malheureusement une nouvelle fois du fait du temps consacré au règlement de l’avarie de guindeau (Lisbonne).

Thierry, membre de l’équipage depuis Rochefort (début novembre 2020) nous quitte ici, après 3048 milles parcourus ensemble (5650 km). Charles, arrivé à Las Palmas, poursuit. 

Lundi 24 – mercredi 27 janvier 2022 – Mindelo/Sao Vicente/Cap Vert

Retrouver Sao Vicente et sa capitale Mindelo… un vrai grand plaisir, une machine à souvenirs…

Notre arrivée avec Charles et Daniel, deux ans plus tôt (janvier 2019). Notre départ de transat quelques jours plus tard avec Valérie et Marc. Première du genre pour nous trois. Et puis, un « petit pays » coloré et sympa dont l’ambassadrice Évora est partout présente. Des fruits, des légumes, des poissons à des prix, pour nous, plus qu’abordables… un régal. Et encore, Pablo, mon couturier sénégalais préféré…

Je rends visite à ce dernier afin de lui confier la réalisation des housses des mousses latérales que j’utilise en navigation hauturière. Elles me permettent de me caler confortablement le long du bordé, à la gîte.

Thierry nous invite à déjeuner au restaurant. Beaux plats de poulpes grillés pour les uns et viande pour l’autre après quelques petites gâteries en introduction. Bon et sympa.

Pour l’heure, je pars accueillir Arièle à l’aéroport. Histoire de bouger un peu, j’y vais à pied. Une belle balade d’environ dix kilomètres. Je table sur une heure trois quarts… dans la nature pour l’essentiel. Encore à quasi deux kilomètres de l’aéroport, je vois son avion atterrir, largement en avance. Pas le moment de la louper, j’actionne le levier course pour le reste du parcours.

Afin qu’elle me reconnaisse, j’affiche sa photo sur mon portable, face à la sortie… quelques minutes plus loin, jonction faite. L’équipage de transat est au complet. Tonga Soa, Arièle (bienvenue).

Une fois revenus à bord, les présentations faites, je lui fait découvrir Soa et la cabine arrière qui lui est dédiée.

Apéritif au champagne (Thierry) et au guacamole (Thierry toujours selon son excellente recette) pour marquer le coup, suivi d’une petite dégustation très light de rhum. Bien agréable aussi.

Mardi 25 janvier 2022 – Mindelo / Sao Vicente

Balades, bistrots, courses et préparatifs du départ occupent notre temps

Je récupère les mousses de ma cabine et leurs housses. Quatre au total, auxquelles j’ai ajouté un revers de manche de chemise à retourner, deux bas de pantalon à faire, des ganses pour suspendre quatre serviettes de bain, Pablo me demande cinquante Euros… Le couturier que j’avais consulté cet été à La Rochelle me demandait, pour le recouvrement des quatre mousses seules (je fournissais le tissu correspondant), cinq-cent-cinquante Euros. J’ai bien fait d’attendre.

Nous déjeunons dans un petit restaurant local avec quatre belles assiettes garnies de poisson ou viande… quatre Euros chacune.

Didier que j’ai prévenu de notre départ vraisemblable vendredi ou samedi, me confirme les bonnes prévisions sur la première partie de notre parcours. Déjà beaucoup !!!

Le Cap Vert qui joue la coupe d’Afrique des nations contre le Sénégal est battu 2/0… avec un arbitrage parait-il, pas très équitable. Pas d’effervescence particulière ici.

Thierry nous offre un dîner au Nautilus. Il rejoindra Grenoble en fin de semaine, après un petit détour. Très bon repas et soirée. Merci à lui… et aux autres.

Mercredi 26 janvier 2022 – Mindelo / Sao Vicente

Thierry devant quitter le bord à cinq heures jeudi matin pour prendre son vol, nous quittons le mouillage et nous rejoignons un des pontons de la « marina ». Ici comme à Pointe à Pitre les pendilles sont remplacées par des bouées sur lesquelles amarrer l’un des côtés du bateau, l’autre poupe en l’occurrence, étant à proximité du ponton. Il y a de la place pour manœuvrer et le départ sera facile pour nous.

Mercredi 26 janvier 2022 – Mindelo/Sao Vicente/Cap Vert

Préparatifs toujours… et balades encore.

Pour le diner, Arièle prend le relai des repas au restaurant, elle nous invite, en l’honneur de son arrivée et du départ de Thierry demain, à l’Alliance française. Excellente soirée conviviale, gustative et musicale dans un très bel espace. Merci à elle.

Jeudi 27 janvier 2022 – Mindelo/Sao Vicente/Cap Vert

05h00 – Charles et moi mettons Thierry dans le taxi… une page se tourne non sans émotion. Bien belle rencontre humaine d’un marin compétent et d’un homme vraiment charmant. Une dimension essentielle du voyage.

Pour le reste… afin de ne pas être pris par le temps demain, jour prévu de départ, nous réalisons la sortie officielle : police et immigration… gratuit, rapide, tout en français et avec le sourire. Que souhaiter de mieux ?!

Nous attaquons le gros des courses de frais et le rangement qui va avec. Tout caser en espérant que cela tienne longtemps. Un boulot à plein temps. Combien de ceci, de cela, de pamplemousses, d’oranges, de plaques de beurre salé ou pas, d’œufs, de yaourts… ? Pour ces derniers nous reprenons les mêmes qu’il y a deux ans, ils ne nécessitent pas d’être mis au frais et sont plutôt bons.

En configuration « transat » désormais, nous partageons un t’punch léger à l’apéritif… pour le symbole.

Pour la traversée, Charles qui termine son Yacht Master, sera mon second, Arièle occupera le poste d’équipière.

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TRANSATLANTIQUE CAP VERT  MARTINIQUE  28/01/2022 – 16/02/2022

Vendredi 28 janvier 2021 – Cap Vert / Antilles – Jour 0

Jour de départ !!!

Les courses, la course. Je tiens à ce que nous partions au plus tard à quinze heures afin que nous puissions sortir du canal (passage entre les îles) entre Sao Vicente et Sao Antao puis déborder cette dernière par le sud, avant la nuit. Ici, comme aux Antilles et ailleurs, les « canaux » sont des couloirs où le vent s’en donne à cœur joie et où la mer est souvent agitée voire, très agitée.

Je vérifie le bon fonctionnement de l’Iridium, et édite le routage des premiers jours avec SailGrib, mon logiciel de météo et de routage.

Nous nous répartissons les tâches. Arièle et Charles s’occupent des derniers achats, pains commandés la veille (autres que ceux de 2019 mais dans la même boulangerie, le premier n’étant disponible que le samedi), fruits et légumes non encore achetés…

Dans le même temps, je fais les pleins d’eau (2 x 250 litres pour les réservoirs avant, 100 litres pour le réservoir d’eau de boisson, 50 litres pour le chauffe-eau), je nettoie le pont et fais l’ensemble des vitrages… Rangement des tuyaux d’eau, du fil électrique et des achats du jour.

14h00 – Le déjeuner et une très courte sieste plus tard, nous rendons les cartes « pass et eau » à la marina puis souscrivons à la symbolique séance de photos sur le quai d’accès aux pontons. En souvenir d’une photo faite par Daniel, j’en prends une au marché couvert tout proche et termine par une déco murale monumentale de Césaria Évora, la princesse des lieux.

15h00 – Nous larguons les amarres. Départ facile du fait de la place où nous nous trouvons, droit devant, vent qui souffle encore bien, dans le dos. Difficile de trouver mieux. Toujours à l’intérieur de la baie, faute d’avoir pu le faire avant, nous remontons et fixons l’annexe… ce qui me vaut un bain non programmé depuis la jupe. En voulant passer un bout par l’arrière, j’ai perdu l’équilibre et suis donc passé à l’eau, sans trop résister. Une première en quatre ans de navigation à bord de Soa. Réaction impeccable de mes équipiers et remontée tranquille, l’échelle de bain étant facile à descendre puisqu’elle reste positionnée sous l’annexe en navigation… justement, pour être prête à être mise à l’eau.

Une fois l’annexe ficelée, l’hydrogénérateur en place, nous déroulons, une petite moitié de la grand-voile en prévision d’un vent possiblement fort. Avec raison. Dès la protection de la pointe nord-ouest de la baie de Mindelo doublée, l’anémomètre oscille entre 25 et 30 nœuds. Rien d’exceptionnel mais mieux vaut ne pas porter trop de toile et ce d’autant que l’océan est, comme prévu, passablement agité dans le « canal ».

Nous tirons un bord droit sur Sao Antao avant de bifurquer sur bâbord au milieu des deux iles. L’une et l’autre s’éloignent progressivement. Les crêtes des montagnes se découpent dans le ciel nuageux. Le spectacle du ciel et du soleil vaut le détour…

Voilà, c’est parti pour plus ou moins trois semaines de navigation… toujours un peu d’émotion.

Samedi 29 janvier 2021 – Cap Vert / Antilles – Jour 1

Pour ne pas modifier les voiles pendant la nuit, nous sommes descendus un peu plus sud que prévu, mais, rien d’embêtant, il aurait fallu le faire plus loin. Didier (mon ami Dumont avec un « t ») nous a envoyé sa première analyse et sa première proposition de Waypoint (point intermédiaire de route) pour les jours à venir. Ça colle avec le routage que j’ai réalisé avant de partir.

08h. Nous empannons dès mon réveil et prenons une route quasi plein Ouest. La Martinique qui devrait être notre ile d’atterrissage, est devant nous à environ 2.000 milles. Pas un exploit mais une jolie balade loin des terres, du monde, des infos, du Covid et autres. Pour l’heure, que des poissons volants… qui volent vraiment.

Une assez belle journée du point de vue des conditions météo, de vent et de mer. Un magnifique coucher de soleil conclut agréablement cette première journée. Nous avons eu du vent entre 10 et 20 kt en moyenne, ce qui nous permet de bien progresser (5 à 6 nœuds), toujours sous grand-voile débordée, seule. La navigation est plus confortable sur cette amure compte tenu de l’angle d’attaque de la houle. Nous avançons bien, en direction du nouveau WP que Didier nous a transmis. Toujours sous GV débordée, seule, ce qui suffit. Havanna, un voilier parti en même temps que nous est, pour ainsi dire, à nos côtés. Cap 270° désormais.

Splendide coucher de soleil, ce soir encore, et un ciel digne d’une belle peinture. Toujours un régal.

19h00 – Au menu du dîner, l’excellent potage de légumes préparé hier par Charles… Il cuisinera bien souvent pour notre plus grand plaisir… et le sien.

21h00 – Havanna, est juste devant Soa (deux milles). Contrairement à nous, il a dû faire route directe.

Charles est égal à lui-même, actif et rieur. Arièle, pas au mieux de sa forme jusque-là, semble avoir récupéré. Après la nuit de répit que nous lui avons accordée pour qu’elle puisse s’amariner un minimum, nous prenons ce soir le rythme standard des quarts de veille. Début, vingt heures pour trois fois deux heures trente puis trois fois deux heures. Ça passe relativement vite.

J’ai écrit un peu sur ce fil de l’eau que je n’avais touché ni dans les jours précédant le départ, ni depuis le départ. Je suis pour ma part en pleine forme…

Dimanche 30 janvier 2021 – Cap Vert / Antilles – Jour 2

La garce, elle ne nous a pas lâchés, la houle. Elle est égale à elle-même, ce matin. Soa se promène d’un bord sur l’autre… la nuit s’est néanmoins passée gentiment et nous avons bien avancé puisque nous avons parcourus 100 milles durant les 17 dernières heures.

J’ai entamé mon quart une demi-heure plus tard que prévu. Charles a prolongé un peu pour dépasser Havanna, désormais deux milles derrière nous. Arièle, requinquée, a effectivement assuré son premier quart. Une première.

Une fois n’est pas coutume, j’ai barré une heure, histoire de voir si j’y parviens encore. Moitié avec le compas de cloison pour repère, moitié avec les étoiles quand les nuages acceptaient que je puisse les voir. Moment sympa qui m’a rappelé la transat de 2019 où nous étions contraints de barrer la nuit du fait de la faiblesse des batteries.

Au fil du jour, la bataille soleil – nuages vire incontestablement à l’avantage des seconds… sans faire complétement désarmer le premier. Nous sommes encore très, très loin des températures antillaises.

Le Grib météo et le routage que je charge via SailGrib nous incitent à tirer vers le Sud afin d’éviter la zone moins ventée située au sud du fameux anticyclone des Açores. Le WayPoint proposé par Didier va dans ce sens. Vendu, nous prenons 30° d’un coup et passons au 230°… sans avoir besoin d’empanner.

Je mets le reste de la matinée à profit pour adresser des courriels via la connexion satellitaire de l’Iridium, à des amis proches. Je les ai un peu négligés ces derniers temps. En mer, les contraintes non liées à la navigation disparaissent et libèrent du temps.

Pommes de terre sautées, belle viande de porc pour midi… sous le coup de main de Charles. J’ouvre ma dernière bouteille de vin rouge portugais pour l’occasion.

Depuis que j’ai mis le « firmware » à jour (joli mot, non ? il ne doit pas en exister en français…), les messages Iridium semblent partir et arriver de façon beaucoup plus conforme. À vérifier dans la durée.

Caroline, ma fille, a créé un groupe Whatsapp pour une communication plus aisée entre quelques-uns de mes très proches. Didier en fait évidemment partie. Il poste régulièrement ses observations et hypothèses de route. Merci à lui. Il en profite pour rassurer les éventuelles inquiétudes des un.e.s et des autres. Simultanément, un ami de Charles diffuse la route de Soa tracée sur une carte Google via « soa.embellie.com ».

17h – Trois jours que nous sommes partis… vendredi, samedi, dimanche… mais en réalité seulement deux fois vingt-quatre heures… Ayant déroulé la GV à 17h UTC (heure universelle) vendredi, cette référence sera celle de l’ensemble de la traversée.

Sur les 48 heures écoulées, nous avons parcourus 253 milles mais progressé de seulement 240 milles par rapport à Sainte Anne en Martinique, point d’atterrissage estampillé par mes soins.

Point essentiel, l’équipage me parait aller bien. Arièle s’est parfaitement intégrée et prend toute sa part dans la conduite du bateau. Ça augure bien de la suite à tous niveaux, navigation, cuisine, relations…

Pour le plaisir, je barre ce soir encore, avant le coucher du soleil. Je l’avais quasi en ligne de mire… moment magique

21h. Toutes les peines du monde à faire aller se coucher mes équipiers… l’équipage traîne. 

Nous poursuivons notre route au SW, toujours 18 nœuds de vent, 5 à 6 pour Soa et nous. L’océan est un peu plus calme même s’il y a de temps en temps un train de vagues plus grosses que les autres.

Nous venons de dépasser un bateau de 10 mètres non identifié (nom, nature), quasiment arrêté, avec des feux clignotants inhabituels. Au cas où, nous avons branché la VHF. Pas d’appel, nous avons donc poursuivi notre route. Nous apercevons Havanna sur l’AIS, loin derrière nous mais n’avons pu le repérer visuellement.

Lundi 31 janvier 2022 – Cap Vert /Antilles – Jour 3

La nuit fut bonne, la matinée est plutôt tranquille. Ce matin, le gris domine avec quelques gouttes à la clé. 12 à 14 nœuds de vent pour une vitesse de 5 à 6 nœuds. Nous venons d’empanner pour nous rapprocher du dernier point donné par Didier. Les poissons volants, volent toujours ; les étoiles filantes ont filé dans la nuit…

À cheval sur le passe-avant pour voir à l’extérieur (harnais et tout et tout), j’ai barré une heure cette nuit, guidé par les étoiles. Le ciel n’était d’ailleurs qu’étoiles… Grande Ours toujours et autres…

Pour le déjeuner, grosses saucisses, lentilles, lardons, et purée de carottes – pommes de terre. Corosol en dessert pour moi, fruits de la passion pour mes compagnons de voyage.

L’anticyclone des Açores poursuit sa descente et nous contraint, pour garder du vent, de tirer davantage encore vers le Sud avant de reprendre notre cap à l’Ouest. Un peu de chemin en plus.

Retour mails de certains de mes amis qui ont fait répondre à mon message d’hier. Je vais recontacter les autres, je me suis trompé sur l’adresse que j’ai donnée… j’ai mis « .com » alors que c’est « .net » pour les adresses Iridium !!!

Afin qu’elle soit autonome, nous réalisons la configuration Iridium de la tablette d’Arièle… ça fonctionne.

Pêche, première… la ligne part d’un coup. Après moult efforts, je ramène jusqu’à la jupe de Soa un très beau poisson d’environ 80 cm, queue un peu jaune, et là… l’émerillon casse… adieu veaux, vaches, cochons, tartare, soupe de poisson et autres… J’ai refait une ligne, elle traîne… Pêche toujours, j’ai remis la main sur le croc pour les remonter à bord (les poissons) mais pas encore sur le moulinet de la deuxième canne !!!

Nous profitons de la clémence des températures pour nous doucher sur les passe-avants. Un franc moment de rigolade…

Je n’ai toujours pas réussi à récupérer le lien de notre balise de suivi (en réalité, celle de mon assurance). Peut-être l’aurai-je avant notre arrivée ?! Inch Allah comme disent mes amis mahorais.

Nous bénéficions, ce soir encore d’un nouveau magnifique coucher de soleil. Ciel à l’avenant, rayon vert compris. Une première pour Arièle qui n’y croyait pas !!! Il était temps qu’elle quitte son ciel parisien.

Pour le dîner, nous poursuivons avec le potage aux légumes frais. Il devrait nous faire également, les deux diners à venir. Top.

23h – Au loin un bateau sur-éclairé annoncé par l’Ais comme bateau de pêche (52 m). Un nom étrange MY5 7 42. À ses côtés plusieurs autres sources AIS, sans aucun feu, celles-là. Une sorte d’attelage, traîné semble-t-il par le chalutier. Bouées pour matérialiser un filet ? Le MMSI débutant par 168800566 correspond à une unité dont la dernière position est la Chine (apprendrons-nous) ?! Vous avez dit étrange ?

Mardi 1er février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 4

Minuit. Alors que nous sommes à 500 milles (926 km) du Cap Vert et 1700 milles (3150 km) de la Martinique, autrement dit, en plein océan, le fil des emmerdes reprend du service. En l’espèce, le pilote automatique décroche, Soa lofe et se met à contre du vent. Rien de grave en soi, pas de danger particulier par océan calme, ce qui est le cas. Ce décrochage s’avérera n’être que le premier d’une longue série… ce qui nous contraindra à barrer ou à rester à proximité immédiate de la barre, à tour de rôle. Les messages d’erreur affichés par le tableau de commande (GHC 20 Garmin) sont de différentes natures : tension d’alimentation basse, étalonnage de la barre incorrect… et autres. C’est bien, il y a le choix… mais ça ne fait pas avancer notre cause.

Le pilote a parfaitement fonctionné durant les 20.000 milles déjà parcourus par Soa. Il a fonctionné normalement sur la descente La Rochelle – Canaries, tout comme lors des premiers jours de navigation entre Canaries et Cap Vert. Il a connu quelques rares défaillance sur la fin de ce dernier parcours sans que cela n’apparaisse comme vraiment problématique.

Depuis notre départ de Mindelo, il a pleinement joué son rôle. Les batteries sont données pour être chargées entre 94 et 100 % et affichent 12,4 à 13,5 V voire plus suivant les moments. À priori, pas de problème de ce côté-là, contrairement à la transat 2019. Pourtant, d’après le GHC, la tension semble baisser lorsqu’on fait fonctionner des équipements gros consommateurs tels que la pompe électrique du WC ou la machine à café. 

Nous passons la journée à tenter de trouver des solutions. Ayant deux CGU, deux ECU et deux GHC20 à bord, j’ai interverti les connexions des appareils (le CCU n°1 avec l’ECU n°1 ; le CCU n°1 avec l’ECU n°2 et ainsi de suite)… sans aucune amélioration.

Je contacte Pochon (mon fournisseur) à La Rochelle et Garmin France. Ça serait bien qu’ils me proposent une vraie solution…

Précision essentielle que je répète, ces problèmes sont très gênants pour l’équipage mais n’engendrent aucun danger, Soa se met simplement à la cape…

Un emmerdement ne venant jamais seul, un fil de pêche se prend dans une quille et l’hydrogénérateur. Il nous faudra un moment et quelques efforts pour nous en séparer.

Nous observons une bouée orange avec deux autres bouées, jaunes celles-là… au milieu de rien, sans signal AIS. Sûrement encore un coup des chinois.

Les sargasses ont fait timidement leur apparition avant-hier. Elles sont de plus en plus nombreuses.

L’océan affiche son plus beau bleu, un bleu profond… un bleu océan. Les emme… n’empêchent pas le plaisir.

Pour ce qui est de notre balise de suivi… la terre ferme m’indique qu’elle dispose du même numéro IP et lien que la dernière fois… oui, mais encore ?

Les objets flottants que nous avons rencontrés cette nuit, après recherches Internet effectuées par l’ami de Charles, seraient des barges chinoises mouillées là…et donc immobiles, comme nous l’avons constaté. Feux flash blancs et non fixes, un feu rouge. On n’en sait pas plus. MMSI de l’une d’elle 168800566.

Pilote toujours en action sans aucun décrochage depuis 19h. Encore 12,5 V et 98% de charge. Je me suis aperçu hier soir que la prise électrique de l’hydrogénérateur était partiellement dévissée. Ce qui explique peut-être tout ou partie des choses, les décrochages ayant débuté en milieu de nuit. Je la remets en place correctement.

Mercredi 2 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 5

Très bonne nouvelle de cette fin de nuit, le pilote a tenu le choc sans aucun décrochage. Nous avions pris quelques précautions pour mettre le maximum d’atouts de notre côté… frigo coupé, les seuls instruments essentiels allumés et réglés sur une luminosité minimale, deuxième convertisseurs 220 V coupé… À trois heures du matin, par précaution, j’ai fait tourner le moteur durant trois quarts d’heure bien que les batteries affichassent (!) toujours 12,4 V.

Le vent étant monté ce matin (20/22 nœuds), la houle marquée de deux mètres et plus, quasi par réflexe, nous avons barré une bonne partie de la journée.

Arièle et la Boom 3 font bon ménage, musique au programme. Très agréable en mer.

Après plusieurs phases de barre pour lesquelles nous nous sommes relayées, nous avons rebranché le pilote qui a tenu trois heures… avant de se déconnecter une nouvelle fois.

Jeudi 3 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 6

07h00 – Nous déroulons le génois et grimpons dans les tours grâce aux quinze nœuds de vent.

La nuit a été longue. Nous avons repris la barre à tour de rôle même si parfois le pilote acceptait de fonctionner un peu. Dans ces conditions, l’envie de dormir aidant, le temps parait parfois long !

Les messages d’erreur les plus fréquents, sont désormais liés à « l’étalonnage de barre » et à la « liaison CCU – GCU ». Quel rapport avec la faible intensité d’alimentation des premiers temps ? À certains moments le cap affiché par le pilote est en totale décalage avec notre déplacement réel (ex. 270° pour notre déplacement réel, 180° pour l’affichage du pilote). À d’autres moments, les deux correspondent. Cherchez l’erreur !

Au fil des observations, il semble que le pupitre de commande du pilote situé au poste de barre pose difficulté. Il se met en rideau dès qu’on l’allume. Charles et moi le débranchons complétement.

12h00 – Nous empannons pour descendre encore un peu plus sud.

14h30 – Nouvelle tentative de pilote. Banco, ça fonctionne. Pour combien de temps, mystère ?! Son affichage actuel correspond à celui du compas de cloison. Je ne sais pas si quelqu’un pourra m’expliquer tout ça, un jour ?

À ce sujet, le préposé au service après-vente de chez Pochon, ne semble guère désireux de trouver une solution. « À distance, vous comprenez, c’est difficile ! » Tiens donc !? Dans le même ordre d’idée, les gens de chez Garmin France, après un premier retour, sont désormais aux abonnés absents. Génial tout ça. Une fois les appareils vendus, débrouillez-vous pour ne pas dire plus ! Mais peut-être n’ont-ils jamais mis les pieds sur un bateau ou seulement navigué en croisière côtière ?

Arièle s’attaque aux nœuds. Le sacro-saint « nœud de chaise » bien sûr, même s’il n’est plus utile de pouvoir s’assoir dedans (hé, hé), le « nœud de cabestan » (celui avec lequel les cow-boys attachent leur cheval dans les westerns, hi, hi), le « nœud plat » (pas aussi facile qu’on croit), Avec ça, parée pour l’essentiel.

Pour le reste, bien que moins expérimentée que Charles et moi, n’ayant pas ou très peu fait de navigations de nuit, elle se montre très volontaire. Elle assure notamment, tout comme nous, les nombreuses heures de barre que nous prenons en charge à tour de rôle. Spécificité qui lui est propre, elle a trouvé une position sur le siège qui lui permet de barrer avec les pieds… écouteurs pour la musique ou les histoires enfoncés dans les oreilles. Bravo.

Tiroir des poubelles : le système de fermeture vient de lâcher. Je bloque le tiroir de façon sommaire, ce qui entrave un peu la circulation.

16h00 – Nouvel empannage afin de rejoindre le Waypoint que nous a transmis Didier. Il, le WP, correspond au routage proposé par SailGrib, ce matin.

Guacamole du soir façon Arièle… tout à fait différent de celui de Thierry. Et cependant, tout aussi excellent. À l’image de cette soirée, nous avons pris beaucoup de nos diners dans le carré. Sauf exception, nous avons chacun plutôt squatté les mêmes places. Arièle coté bordé tribord, Charles côté cuisine et moi, entre les deux, côté avant. Certains comportements de l’équipage précédent se sont renouvelés. Après le « Thierry, oh mon Thierry, tu voudrais bien m’attraper telle ou telle chose » d’Aurélie le plus souvent placée côté bordé tribord, il s’agit désormais d’une version à peine différente :  « Charles, oh mon Charles, tu voudrais bien m’attraper telle ou telle chose » de… deviner qui…

Vendredi 4 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 7

Côté pilote… contraints et forcés, nous nous adaptons. Au bout de l’analyse, deux phénomènes semblent se cumuler : d’un côté, le calage du bateau par rapport à sa direction réelle est souvent faux, de l’autre des baisses de tension électriques visibles sur l’éclairage, à certains moments, ou lors de la mise en route de la pompe électrique des WC alors que le frigo tourne déjà. Sûrement quelque chose à voir avec ça.

Pour ce qui est de la journée, il s’est montré plutôt clément même si plusieurs décrochages ont eu lieu. Nous sommes maintenant prompts à réagir et efficaces. Charles tout particulièrement.

Notre cheminement vers l’ouest nous conduit à reculer, une première fois, la pendule d’une heure, afin de rester calés sur les horaires du soleil.

16H00 (correspondant à nos 17h de départ) – Voilà donc sept jours que nous avons déroulé la grand-voile et avons quitté l’abri de la baie de Mindelo. Sept belles journées entachées seulement par les caprices du pilote… ce qui crée quelques contraintes, mais c’est ainsi. L’équipage est au top, chacun a trouvé et pris sa place de manière harmonieuse. Neuf cent quatre milles de parcourus (1674 km), mille trois cents cinq qui nous séparent encore de la Martinique (2417 km). Un bon tiers de fait. Soa marche bien. Le cuisinier principal nous régale avec des plats variés et (parfois) légers (choucroute aux saucisses et au lard… sourires), la cuisinière en second donne plutôt dans la verdure. Ça « tamponne » (ça équilibre) selon le terme du bord.

Nous n’avons rencontré que très peu de bateaux jusque-là.

16h30. Douche pour tout le monde. Eau de mer d’abord, eau douce pour rincer. La première n’est franchement pas chaude…

Soirée – très raisonnablement – festive pour marquer cette première semaine. Guacamole bis mais dans une autre version et sans blender cette fois, olives, calamars dans leur encre et… pour compléter dignement le tout, Champagne ! Le tout, dont les flûtes de ma grand-mère, astucieusement calé sur la table du carré. La vie est belle, santé !

Samedi 5 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 8

Une nuit particulière, un ciel tapissé d’étoiles. Le firmament est à nous et en nous. Inoubliable.

Pour aujourd’hui, une navigation de rêve au milieu de rien semble se profiler… du bleu en haut, du bleu en bas, du soleil, du vent, une belle et bonne température, Soa qui trace sa route, des poissons volants (cinq récupérés sur le pont), des moutons blancs qui se forment et disparaissent sur l’océan, quelques oiseaux de passage… Un sentiment de plénitude, de liberté, de complétude.

Le pilote fait toujours des siennes… Les baisses de tension indiquées de façon répétitive par le pupitre de commande, se poursuivent. Malgré tout, pour embêtant que cela soit, le plaisir reste intact.

Problème électrique donc… Les batteries ? Afin de tenter d’en avoir le cœur net et à défaut de pouvoir mesurer l’ampérage du parc faute d’appareil adhoc, nous découplons la troisième et seule batterie de service que nous n’avions pas testée séparément des autres. En fin de soirée, elle n’a pas bougé d’un iota. Nous la rebranchons donc.

Tiroir des poubelles. Afin de pouvoir circuler plus facilement, je bricole un système plus approprié que ce que j’y ai mis depuis qu’il nous a, lui aussi, lâché. Pas mirobolant mais néanmoins beaucoup mieux (moins mal diraient certain.e.s).

Superbe coucher de soleil quasi devant nous. Du fait de sa disparition de plus en plus tardive, nous reculons les quarts.

Le premier croissant de lune s’offre à notre regard, dans une position inhabituelle pour nous, il est à l’horizontal, la partie creuse du croissant tournée vers le haut. Sa lumière va nous accompagner jusqu’à notre arrivée.

Dimanche 6 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 9

06h00 – La clarté du jour parait, tout en nuances d’orange. Le ciel est assez dégagé, la journée s’annonce belle.

Le pilote semble être de meilleure composition. Certes il déconnecte toujours de manière intempestive, nous obligeant à une veille permanente à proximité immédiate de la barre, mais il tient aussi son rôle sur des plages horaires pouvant aller jusqu’à deux heures. Très appréciable par rapport à la nécessité de barrer presque en continu.

Nous approchons de la mi-parcours. L’anticyclone qui est devant nous (NW) n’en finit pas de descendre, nous obligeant à piquer chaque jour davantage vers le Sud (10°10 N), allongeant d’autant le parcours. Une fois ce point atteint, la nuit prochaine ou demain matin, nous devrions pouvoir pointer l’étrave de Soa sur la Martinique. La Barbade est quasi sur la même route.   

Les sargasses sont de plus en plus nombreuses.

Lundi 7 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 10

09h00 – Nous sommes à proximité immédiate du Waypoint déterminée avec Didier comme étant notre point de changement de cap. Nous empannons donc et entamons notre remontée vers la Martinique. Un stop d’une nuit à la Barbade avant d’avaler les cent derniers milles, est de plus en plus envisagé.

« Sauf imprévu », comme disait mon père marin, nous ne modifierons plus la position de la Grand-Voile et devrions rester tribord amure (vent reçu par la droite de Soa).

Au moment de cette bascule, indépendamment des milles réellement parcourus (1240), nous sommes en distance pure (vol d’oiseau) à 967 milles de la Barbade, à 1060 de la Martinique et à 1141 de Mindelo.

Nous tentons de repositionner le gyrocompas du pilote… sans succès flagrant quant aux décrochages.

Pour le déjeuner, Charles nous a concocté un parmentier christophines, patates douces, joues de bœufs, gruyère, parmesan… sans oublier tomates, ognons, ail et autres. Excellent… et parfait pour la ligne.

Nous reculons une nouvelle fois la pendule d’une heure.

Arièle peaufine l’acquisition des nœuds… elle progresse très significativement.

  • Katarinna II – voilier – six milles de nous – 19×4 m

Nous nous adonnons à un peu de nettoyage, barre et poste de barre, sols intérieurs… Les poubelles commencent à occuper un certain volume. De leurs côtés, le papier toilette a vertigineusement fondu, le sopalin quasi disparu. Malgré les douches, nous disposons encore de plus de la moitié des réservoirs d’eau avant (300 / 500 litres). Le réservoir de boisson est encore plein au deux-tiers (65/100 litres). Pas encore à la moitié des bouteilles d’eau…

17h00 – Première visite, bien trop rapide à notre goût, de dauphins…

18h00 – Fil de pêche des-enroulé, canne remontée, leurre à l’eau, première touche… poisson ou seulement sargasses prises dans l’hameçon ? Nous ne saurons pas.

19h20 – Magnifique coucher de soleil version grand écran de la Paramount.

La baisse de vent prévu n’a, pour l’instant, pas eu lieu. Notre cap au Nord-Ouest nous permet de tenir le génois dans de bonnes conditions de propulsion. La vitesse moyenne de Soa est de 5,5 nœuds. Très bien comme ça d’autant que l’océan est calme. Malgré les décrochages toujours répétés du pilote, fort belle journée de navigation.

Durant mon quart, j’écris une longue lettre à Inaya, mon adorable petite-fille.

Mardi 8 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 11

Sous grand-voile seule, la nuit a été tranquille. Le pilote nous a un peu soutenu, ce qui aide bien. La baisse de vent a eu lieu, mais n’a pas duré. Nous avons actuellement autour de quatorze nœuds au grand largue, ce qui nous permet, génois établi, de bien avancer.

Nettoyage à grande eau du cockpit (Charles). Il commençait à y en avoir sérieusement besoin.

Onze jours après le départ, préparation et dégustation d’un des derniers plats avec des légumes frais… occasion de terminer le chou, et les tomates… qui seront provençales.

Nous avons mangé le dernier pain classique hier. Nous entamons les pains/toasts longue conservation. Leur mise sous vide (des pains) n’a pas été un succès. Trop tardive ? Humides avant la mise sous vide ? À retenter.

Point quotidien de Didier à quelques 700 milles de l’endroit où nous sommes. Y’a de la marge.

17h00 UTC – Nous sommes désormais à 840 milles de la Barbade. Arrivée vraisemblable mardi dans la journée, lundi éventuellement si nous accélérons significativement.

L’océan étant peu formé, je monte en haut du mat pour vérifier le réglage du capteur de vent. La partie capteur proprement dite se promène sur son support, elle a bougé et est donc mal orientée. Bon, ce sera toujours ça de fait.  Sur notre lancée, en complément, nous re-réglons le gyroscope du compas et le calons sur l’écart de 20° d’avec le compas de cloison, correspondant à la déclinaison locale très forte soit 280° pour 300°. La représentation de Soa sur le traceur retrouve sa logique, il est orienté dans le sens de son déplacement. Le pilote, pilote. Si ça pouvait durer…

Nouveau superbe coucher de soleil… rayon vert compris (bis repetita !!!!). Deux puis trois points brillants dont nous n’avons pu déterminer la nature, accompagnent ce moment. Totalement inhabituel. 

Mercredi 9 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 12

Une journée tranquille… durant laquelle nous sommes obligés de libérer l’hydrogénérateur des sargasses qui l’encombrent.

La bouteille de gaz, achetée à LR en juillet dernier, est au bout de sa vie. Ce modèle n’étant commercialisé dans aucune des îles des caraïbes (ça serait trop simple), elle est bonne pour la poubelle. Je bascule le branchement sur la bouteille antillaise classique que j’ai soigneusement conservée (acier, 13 kg). Également achetée et remplie (après plusieurs tentatives) à La Rochelle, je tiens le modèle plastique remplit de GPL, en réserve.

Bien sanglée, l’annexe n’a pas bougé d’un iota depuis notre départ. Elle accueille ou a accueilli nos réserves de fruits et légumes frais… ainsi désormais que nos poubelles.

Jeudi 10 février 2022 – Cap Vert –/Antilles – Jour 13

02h. Orangée, comme l’est le soleil au même moment de son périple journalier, la lune se couche, plein ouest.

02h30. J’allume le moteur, l’hydrogénérateur ne chargeant pas suffisamment compte tenu de notre relativement faible vitesse. Clap de fin à 4h.

Dans sa prévision du matin, Didier nous donne une « ETA » (estimation d’arrivée) pour lundi après-midi.

Pour le reste… Arièle lit, Charles fait, comme plusieurs fois par jour depuis notre départ (avec généralement, une belle précision), ses calculs de sextant… Quelle assiduité !

Je tente de tenir mon fil de l’eau sur l’ordinateur. Ni parvenant pas vraiment, je m’envoie des pense-bêtes pour pouvoir rédiger ultérieurement… !?!?!

17h. Nous mettons Soa à la cape après avoir enroulé l’essentiel du génois, afin de libérer l’hydrogénérateur de ses sargasses. À tour de rôle, Charles et moi, dûment attachés au bateau, tentons son nettoyage, immergés jusqu’au milieu du corps,…

Vendredi 11 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 14

03h15. Je viens de prendre mon quart… pas toujours facile de se sortir du lit. Après, ça va mieux.

La nuit est douce, le ciel étoilé. La lune guide Soa avant de plonger à son tour dans les eaux océaniques… soleil, lune, même combat…

Nouveau recul de la pendule. Nous la reculerons une dernière fois lorsque nous serons en Martinique.

Le renforcement prévu du vent est au rendez-vous, 17/20 kt. La vitesse de Soa oscille entre 6 et 7,5 kt avec des accélérations ponctuelles supérieures à 8 voire 9 kt. La houle nous pousse aux fesses. Le pilote tient depuis environ une heure.

Si ce rythme se maintient et que nous puissions tenir une moyenne de 6,2 kt, la Barbade reste envisageable pour lundi soir avant la nuit. Dans mon souvenir, la baie d’Oistin, au sud-ouest, est facile d’accès et assez peu fréquentée. Le cas échéant nous pourrons aussi y arriver de nuit. Toujours moins bien cependant. L’hypothèse est de dormir là une vraie nuit complète puis de repartir vers la Martinique le lendemain en fin de matinée. Cent milles environ nous séparent alors de Sainte-Anne au sud. Vingt de plus environ pour Fort de France où nous devons être mercredi soir (départ de Charles).

Depuis presque une semaine, aucun bateau en vue ni même repéré sur l’AIS à part Havanna. Ça ne se bouscule pas dans le coin.

L’hydrogénérateur vrombit lorsque nous dépassons les 7 nœuds. Il doit entrer en résonance avec la coque de Soa. Ce dernier se balance au gré de la houle.

16h.  À l’identique d’hier, nous remettons Soa à la cape. Cet après-midi, c’est cerise sur le gâteau ou ceinture et bretelles comme disent les québécois… sargasses et sacs plastiques encombrent l’hydrogénérateur…

La trouvaille, par Charles, de la possibilité d’afficher la tension instantanée des appareils connectés au bus NMEA sur la centrale, est un plus incontestable (qui a échappé au SAV Pochon comme à moi !). En charge correcte nous sommes entre 12,1/12,3 V alors que le parc de batteries de servitude affiche 0,5 V de plus en moyenne. La mise en route de gros consommateurs tels que réfrigérateur, broyeur des WC, machine à café, fait chuter le voltage à moins de 11V. Trop peu.

19h. Un impressionnant train de cumulo-nimbus défile sur l’horizon et cache le soleil.

Contrainte, fatigue, tout ça à la fois… Et en même temps plaisir d’être en mer, l’océan lui-même, le ciel, la lune déjà haute qui grossit, les couchers de soleil, dormir bercé par les mouvements de Soa, l’écoulement de l’eau le long de sa coque… manger, discuter… un vrai grand plaisir…

19h30. Très, très grosse frayeur… lorsque je me suis rendu compte que l’hydrogénérateur se baladait à l’arrière de Soa, libéré de son support. Les deux pattes de maintien en plastique qui en assurent normalement la fixation, ont cassé net. Tellement heureux néanmoins de ne pas l’avoir perdu (je l’assure en permanence par deux bouts fixés au bateau). Nous devrons donc naviguer sans son apport électrique ce qui, désormais, nous obligera à faire tourner le moteur en milieu de nuit…

20h. Le cockpit est seulement éclairé par la lumière des appareils de navigation. Pas besoin de plus. Nous avons fermé la bâche au vent (coté par lequel le vent arrive, tribord en l’occurrence) avant le début des quarts, nous sommes ainsi parfaitement protégés. La bâche bâbord, sous le vent donc, est restée ouverte ce qui permet d’admirer le ciel étoilé…

Un peu fatigués tous les trois (je suis encore à la barre) nous ferons des quarts de deux heures cette nuit et sans doute les suivantes. 0h30 à 2h30 puis 6h30 à 8h30 pour moi…

Super brillante, la grande copine de Daniel, Venus, est dans notre sillage…



Samedi 12 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 15

Très bon anniversaire, ma Biche !!!

02h. Milieu de mon quart. Soa glisse toujours rapidement dans une nuit faiblement éclairée par la lune. Ciel nuageux. Océan assez paisible. Vent de jusqu’à 22 kt. Un peu plus de 6 kt pour nous sous GV seule.

08h. Cette nuit fut la première depuis longtemps où le pilote, à seulement deux exceptions près, aura tenu son rôle. Ravis de ce répit. Nous restons néanmoins scotchés à la barre au cas où… Il n’en est pas de même ce matin où c’est décrochage sur décrochage et ce, malgré une tension des appareils autour de 13 V. À ne rien y comprendre… ce qui est bien le cas !

Tandis qu’à la suite de Charles, j’assure la surveillance de la barre, Arièle est repartie dormir, Charles calcule une nouvelle fois notre position suite à ses derniers relevés au sextant…

L’océan est bleu intense. Petits et gros moutons blancs partout. Houle de deux ou trois mètres, courte (8 secondes ?) Qui nous fait abondamment rouler. Pas hyper confortable… Ciel très dégagé alors qu’il était, pour reprendre une formulation guadeloupéenne, très « engagé » durant la nuit.

09h00. Nouvelle heure à bord. En lien direct avec les levers et couchers de soleil et donc le fuseau horaire du lieu concerné, l’heure du bord rythme la vie… heures des repas, calage des heures de quart… elle est à ce titre indispensable. Lors d’une navigation d’Est en Ouest on recule les pendules au fur et à mesure de l’avancée. Nous avions une heure de moins au Portugal qu’en France, nous avons désormais quatre heures de moins qu’en France (sans parler des heures d’été et d’hiver !). Il nous faudra encore enlever une heure lors de notre arrivée en Martinique.

Nous avons parcouru 149 milles ces dernières 24 heures. Nous tenons la cadence malgré l’absence de génois durant la nuit… Sur l’écran de la centrale de navigation… la Barbade et nous, tenons sur la même image…

Un couple de pailles en queue est venu survoler Soa… puis s’en est allé… La terre n’est pas loin.

Certains passionnés de mes connaissances me parlent du France-Irlande… bien loin tout ça en ce moment.

16h. A l’instar de Thierry il y a encore peu, Charles bronze sur le rouf tandis qu’Arièle dort. De mon côté, confortablement installé à ma place préférée dans le cockpit (cloison arrière du rouf), je surveille et…  contemple. Une éternité que je n’avais pu le faire… Le soleil qui poudroie, l’océan qui scintille, le ciel qui héberge moult nuages… et puis, l’océan encore. Mille couleurs, bleu océanique profond, de l’écume partout… Soa qui glisse et bondit sur l’eau, rattrapé et ballotté par la houle. L’eau qui fuse derrière son sillage à chaque accélération, sa poupe soulevée par l’arrière, son nez qui plonge, il roule, tangue, mais file tout en douceur. Il « enquille » les milles et les soustrait de notre arrivée prochaine…

Dimanche 13 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 16

02h30. Fidèle compagne, désormais quasi pleine, la lune jette sa lumière blafarde sur l’océan. L’étrave de Soa pointe sur elle. Elle restera à nos côtés durant l’ensemble des nuits du reste de notre parcours. Toujours sympa.

Deux cent cinquante milles sont encore devant nous pour rejoindre la Barbade, environ cent vingt de plus pour Fort de France. À 01h00 locale ce dimanche, nous sommes légèrement en retard pour une arrivée de jour à Oistin Bay.

Le pilote s’est montré très capricieux durant toute la première partie de nuit (barre à ré-étalonner). Depuis plus d’une heure, il semble vouloir se faire pardonner. La désormais absence de l’hydrogénérateur ne semble rien changer.

Pourquoi les supports de ce dernier ont-ils cassés ? A sept, huit, neuf nœuds, la pression des sargasses ? Comment ces mêmes appareils, dont l’inventeur n’est autre que Bestaven, vainqueur du dernier Vendée Globe, tiennent-ils le choc sur les bateaux de course allant quatre ou cinq fois plus vite ? Un autre mystère. Toujours est-il qu’il va falloir que je trouve les pièces de rechange…

Côté ménager, nous ne sommes pas très bons… les réserves d’eau ont fondu comme esquimau au soleil et l’annexe est pleine de nos déchets… deux gros consommateurs à bord… douches et autres en plus de l’eau de boisson. Sans parler du PQ !!! À 4 pour la transat retour 2021, nous avions moins consommé…

Si les pains ont moins bien tenu que nous l’espérions, les oranges, pamplemousses, fruits de la passion ont montré une résistance à toute épreuve. Le potimarron aussi, bien sûr. Un champion hors classe dans la catégorie. Il devrait néanmoins passer à la casserole ce soir. Nous avons ouvert hier, pour la première fois, une grosse boite de filets de maquereaux et une boîte de feuilles de navets. Après les journées « bœuf », très bien aussi.

Oiseau de nuit… ressemblant étrangement a ceux qui nous avaient rendu visite lors de la première transat…

Lignes de pêche : les deux premiers leurres ayant abandonné la partie, j’en monte un troisième et le mets à l’eau. Quelques minutes plus tard un départ très intense s’opère… quelques longueurs plus tard, le fil réduit du fait des ennuis précédents et donc trop court, casse net. La fête, quoi !!!

Lundi 14 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 17

8h30 locales / 11h30 UTC. Surprise matinale… le vent ayant tourné, nous nous sommes quelque peu détournés de notre route directe. Une incartade de 4 milles vers le Nord… et une distance de 59 milles pour la Barbade alors que j’avais tablé sur 50. Autre surprise, contre toute attente, le vent a très sérieusement faibli. Rien pour arranger nos affaires et espérer encore une arrivée de jour à la Barbade. La route directe vers la Martinique est évoquée. Inconvénient majeur, cela nous y ferait arriver de nuit, ce que je ne veux absolument éviter compte tenu des dizaines de casiers non vraiment signalés qui jonchent la côte Est. Nous devrons obligatoirement la longer pour remonter a Fort de France, une fois la pointe Sud débordée.

Tout cela passé au shaker, mes informateurs de route mis à contribution, deux empannages plus loin, nous reprenons notre route Sud Barbade… avec une prévision d’arrivée pour 23 heures !!!

15h00 – 28 milles de la Barbade… qui n’est toujours pas en vue, les nuages bétonnant l’horizon. Le vent est remonté autour de 13 nœuds, nous naviguons autour de 5. Nouvelle estimation d’arrivée entre 19h30 et 20h30. Beaucoup plus acceptable. Pour peu que ça forcisse chouïa, on y serait avant la nuit solaire, quasi pleine lune comprise, avec une vraie nuit de sommeil à suivre et un petit déjeuner sympa demain matin avant d’entamer le dernier tronçon de la balade… et la dernière nuit de veille.

Le pilote fait son boulot depuis deux heures cette nuit… sacrément bien même si nous le marquons à la culotte. Pourquoi cette dimension aléatoire ??? Allez savoir.

15h30 – Courte visite d’une douzaine de dauphins… toujours un événement.

Charles et moi croyons deviner la partie Nord de la Barbade, partie la plus haute de l’île.

16h – Voiles, un petit peu de ciseau dans la grisaille…

16h30 – Après l’avoir établie dix-sept jours plus tôt, nous enroulons la GV pour tenter de poursuive avec le seul génois, vent (10 kt) bâbord amure cette fois !

Alors, toucher terre après une traversée un peu conséquente, qu’est-ce que ça fait ? Toujours un mélange, entre la satisfaction d’arriver, de se dire qu’on va faire de vraies nuits complètes, le plaisir d’avoir réalisé une transat… et puis… et puis… on était bien en mer, loin de tout mais pas de tous… une sorte de nostalgie de cet état d’apesanteur marin, hors du monde. Comme une ambivalence.

20h. Il fait nuit maintenant même si la lune est bien active. Nous sommes suivis par Isabella, un voilier de 14 m également… il vient de nous laisser la priorité (tribord amure). Soa pointe à 2 milles de la pointe Sud de la Barbade, 2 milles supplémentaires ensuite pour le mouillage….

21h. Après un round d’observation des bateaux déjà présents sur le mouillage d’Oistin, nous jetons l’ancre, mettant un terme momentané à notre balade trans-océanique.

Une nuit complète s’offre à nous.


Mardi 15 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 18

Après une longue et excellente nuit, pendules reculées d’une heure pour être à l’heure caraïbéenne et dormir plus longtemps, nous avons eu le temps de faire trempette dans les eaux turquoises de cette fort jolie baie (nous y avons mouillé avec Nathalie deux ans plus tôt). Arièle a nagé jusqu’à la plage (heureusement, pas de garde côtes).

10h30. Avant d’entamer la remontée vers la Martinique, nous décidons de longer le côte de la Barbade et de nous poser un peu plus haut pour un déjeuner tranquille.

12h30. Nous jetons l’ancre face à une fort jolie plage.

14h. Le repas à peine entamé, nous sommes rejoints par une grosse vedette des gardes côtes locaux qui nous demandent, sans fioriture, ce que nous faisons là. Pour eux, ayant jeté l’ancre dans leurs eaux, nous sommes entrés à la Barbade (ce qui, bien sûr, est vrai). Arièle qui maîtrise mieux l’anglais que Charles et moi, leur explique notre arrivée de transat et notre départ imminent pour la Martinique. Ils ne semblent pas goûter la nuance. Après de longues palabres par radio avec leurs supérieurs, ils acceptent que nous ne fassions pas les formalités d’entrée, sous réserve que nous levions l’ancre immédiatement et que nous quittions leurs eaux territoriales, au plus vite. Nous ne nous faisons évidemment pas prier.

Ancre relevée, nous déroulons le génois qui, avec les 20 kt vent de travers établis, se montre suffisant à lui seul. Nous naviguons entre 6 et 7 nœuds en trace directe vers le Diamant. Le bateau des gardes côtes ne nous lâche pas. Il nous suit à une centaine de mètres derrière et le fera deux heures durant.

16h15 après être venus nous saluer, plutôt chaleureusement cette fois (de marins à marins sans doute), les gardes côtes tournent casaque. In petto, nous rentrons une partie du génois pour ralentir, nous avons le temps pour la distance à parcourir d’ici à la Martinique. Arièle est à la barre.

Je passe un très long moment en terrasse puis sur le siège du balcon arrière tribord, au soleil, côté sous le vent. La journée de navigation fut d’une rare quiétude. Océan très calme, huit nœuds de vent, Soa qui glisse tranquillement entre quatre et cinq nœuds. Tout confort, tout plaisir même si c’est encore un peu tôt pour se mettre en maillot.

Nous prévoyons une arrivé autour de 11 heures demain matin mercredi, au niveau du Diamant (NW de la baie de Ste Anne). Ma première arrivée à cet endroit, remonte à novembre 2019 en compagnie de mon amie Nathalie… Le retour. 

Le coucher de soleil de ce soir fut un modèle du genre rayon vert excepté. Disque orangé entièrement visible s’enfonçant lentement dans les profondeurs liquides après avoir jeté sur l’océan un faisceau scintillant de mille feux. Sa copine le regarde faire, mi-dédaigneuse, mi-indifférente. Mais son tour viendra.

Mercredi 16 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 19

07h. Le Diamant, au SW de la Martinique, est par notre travers.

Cette dernière nuit s’est déroulée sous les hospices de la lune, pleine ou quasi. Lumière blafarde mais bien éclairante quand même. Toujours agréable de voir un peu quelque chose.

La vingtaine de milles qui nous séparent de Fort de France sera tout particulièrement arrosée ! Une violente pluie d’orage, un ciel uniformément gris pour ne pas dire noir. Quel accueil !!!

11h. Après 2391 milles parcourus et 19 jours, nuit et matinée à la Barbade comprises, nous jetons l’ancre au pied de Fort Louis, devant la ville de Fort de France. Voilà, une belle et inoubliable traversée qui se termine. Plaisir et nostalgie…

Jeudi 17 février 2022 – Cap Vert / Antilles – Jour 20

Pressé de rejoindre son amoureuse, Charles ne traîne pas, il reprend l’avion pour Paris.

Arièle finalise son voyage à Saint Martin où elle va rejoindre une de ses amies.

Une nouvelle bien belle page de navigation et de vie se tourne.

Ainsi vont les choses…

PS un grand merci à Didier qui a veillé sur nous (et sur les autres) tout au long de ce trajet. Ton aide fut précieuse, l’ami !!!

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