Au fil de l’eau, carnet n°3 / 2018 – 2019
Et le destin ? « J’ai l’habitude de répondre que pour l’homme, le destin est comme le vent pour un voilier. Celui qui est à la barre ne peut décider d’où souffle le vent, ni avec quelle force, mais il peut orienter sa propre voile. Et cela fait parfois une sacrée différence. » Amin Maalouf, en souvenir de ma rencontre avec Yanis.
Jeudi 1er novembre 2018
Après la nuit plus qu’agitée de lundi à mardi dernier et les presque cinquante nœuds qui ont soufflé pendant plusieurs heures, après la nouvelle journée de vent frais et de pluie d’hier, ciel bouché compris, nous reprenons la route ce matin. Le temps est redevenu clément, la mer est très belle, le soleil est au rendez-vous. Le vent qui est relativement faible, nous autorise quand même une vitesse de quatre nœuds, ce qui est déjà bien.
Olhao aura donc été notre dernière escale portugaise. Nous y aurons vu des ruelles anciennes ayant du cachet. Un style parfois méditerranéen type Tunis ou autre. Des statues d’un autre genre que celles rencontrées précédemment. Des rues, ruelles, places pavées comme partout ailleurs. Il a dû y avoir un plan national à un moment où un autre pour avoir une telle unité au travers du pays.
Nous devrions atteindre Chipiona, en Espagne, demain dans la journée. François qui a rejoint le bord il y a quelques jours, fait sa première navigation avec nous.
Repas de fête ce midi, poulet (réputé de qualité) cuit dans le four du bord par ses soins, poivrons rouges et verts cuits au wok. Un petit bordeaux en accompagnement pour les aficionados, qui ne gâche rien. Eau claire pour les autres…
Très belle navigation tout l’après-midi avec une moyenne de 5 nœuds.
18h00. Nous franchissons symboliquement la frontière entre Portugal et Espagne.
En soirée, après un épisode moteur, nous déroulons de nouveau les voiles.
22h30. Petit coup au cœur. Il fait nuit noire. Un bateau très (trop) discret d’une trentaine de mètres nous rattrape rapidement jusqu’à une vingtaine de mètres sur notre arrière. Tous projecteurs braqués sur nous, il passe d’un bord sur l’autre. François qui était de quart me réveille pour me prévenir. A peine monté sur le pont, je vois le bateau faire demi-tour et s’éloigner. A priori, un bateau militaire ou de surveillance maritime. Les trafics en tous genres sont, parait-il, nombreux dans ce secteur.
Vendredi 2 novembre 2018
Minuit. La lune sort de l’eau… Le vent ayant forci (nous naviguons entre 6,5 et 7 nœuds), nous décidons collectivement de rouler le génois et de naviguer sous grand-voile seule afin de ne pas arriver trop tôt.
5h30. Nous sommes à proximité du port de Chipiona, comme convenu, Anne vient me réveiller. Nous préparons les amarres et les pare-battages. L’entrée du port est conforme à ce que nous avions lu dans les commentaires STW, facile. Nous nous amarrons au ponton visiteur. A peine terminé, le marinero (qui ne s’était pas montré avant), vient nous dire qu’il fallait procéder aux formalités de port sur le champ. Le lit attendra… Nous est cependant donnée l’autorisation de ne rejoindre la place qui nous est attribuée, que plus tard dans la matinée.
Chipiona donc pour une escale sur la route de Cadiz et, plus tard, du Maroc. Après notre « traversée » de soixante-dix milles depuis Olhao, nous reprendrons, à partir de là, une orientation sud. J’espère que les températures qui ont passablement chutées ces jours derniers, remonteront sans trop tarder. L’animal des pays chauds que j’ai été dans mon enfance et que je suis redevenu ces dernières années, a de plus en plus de mal avec le froid.
Samedi 3 novembre 2018
Nous avions projeté de rejoindre Rota. Après une très belle et agréable traversée sous le soleil, la direction du vent nous a fait choisir Santa Maria, à deux milles en face de Cadiz, plus au sud. Mouillage devant la plage et ses immeubles… Baignade pour Sarah.
Dimanche 4 novembre 2018
Après une nuit particulièrement calme, nous approchons Cadiz. Le pont à haubans qui se trouve à l’entrée de la baie, est superbement éclairé pendant la nuit. Très récent, il a été mis en service en 2015. Son haubanage est remarquable, le forme de ses deux piles centrales aussi. Avant et après le pont, le port de commerce avec ses bateaux, ses grues, son silo à grains… pas le plus glamour. Pas fabuleux non plus les barres d’immeubles qui prennent le relai immédiatement après. La ville historique est à une demi-heure de marche du port de plaisance.
Sarah quitte le bord à peu après notre arrivée. Nous l’accompagnons à la station d’autobus. Deux jeunes espagnols, policiers de profession, dont un qui parle parfaitement français, nous prennent en stop jusqu’à l’entrée de la ville. Nous l’abordons par son superbe « paseo » (promenade) le long du bord de mer. Pavés, parterres d’arbustes et de fleurs, fontaines, caoutchoucs immenses et impressionnants, statues… Magnifique. Comme le reste de la ville d’ailleurs. Nous en faisons le tour par la mer jusqu’au fortin situé sur un promontoire. Nous découvrons ensuite la cathédrale, belle et monumentale.
Mardi 5 – mercredi 6 novembre 2018
Partis de Cadiz pour Rota, nous décidons, compte tenu du vent, de rejoindre directement Barbate, plus au sud. Nous y arriverons le lendemain matin à 7h après une journée et une nuit de très belle navigation en trace directe, au portant, ce qui est toujours agréable. La voie lactée au-dessus de nos têtes constitue un spectacle étourdissant. Orion, Grande-Ours et autres se laissent admirer sans que les lumières des côtes, pourtant bien visibles, ne gênent. Au loin, la côte marocaine est, elle aussi, bien éclairée et bien visible.
Nous doublons un lieu dont le nom est connu de tous… Trafalgar. La flotte franco-espagnole est défaite par la flotte anglaise commandée par l’amiral Nelson qui meurt pendant la bataille (1805). Le souhait de Napoléon de conquérir l’Angleterre est définitivement mis à mal…
Jeudi 8 novembre 2018
11h00. Nous quittons Barbate pour rejoindre Tanger, 25 milles plus bas. Au près serré, allure inconfortable, nous naviguons sous 20 à 22 nœuds de vent de sud-sud-ouest. Trinquette et grand-voile sont dépliées entièrement. Soa gîte pas mal, les rails de fargue sont souvent dans l’eau. J’écris, calé contre la table du carré. La côte espagnole défile, les caps aussi, Camarinal d’abord, Tarifa, connu pour ses spots de planches à voile, ensuite. Les côtes marocaines sont en vue quasi depuis le départ. Montagneuses et découpées, elles se précisent au fur et à mesure de notre avancée.
Nous sommes à environ cinq milles des rails entrant et sortant (Méditerranée – Atlantique) des cargos. Gibraltar est tout près, la côte sud de l’Europe et la côte nord de l’Afrique se font face à quatorze milles de distance (26 km). Le trafic est intense et permanent. Il va falloir viser juste entre ces monstres dont certains mesurent près de trois cents mètres (Carol, porte-containers, 285 m…). Les petits trains locaux sont donc des trains de cargos. Sur la même photo, cinq d’entre eux quasi à touche-touche, tandis que, via l’AIS, on en dénombre une douzaine à proximité immédiate. Le principe que nous avons adopté est simple, on fait route et on voit in fine s’il est utile ou non de changer de cap. Dans les faits, ça n’a pas été nécessaire. Celui dont nous sommes passés le plus près était à environ cinq cents mètres, ce qui laisse de la marge.
Tanger, est toute proche, nous nous réjouissons à l’avance d’y arriver rapidement.
La houle et le vent se renforcent petit à petit. Le courant qui jusque-là, ne nous avait pas gêné, devient très fort au point que, conjugué à la houle courte et hachée, et au vent de face, nous tirons des bords quasi carrés et faisons du surplace. Nous n’arriverons que nettement plus tard dans la soirée, nuit tombée. Leçon d’humilité.
Un voilier que nous croisons (47 pieds, jeune couple d’allemands… nous le saurons en arrivant) rencontre les mêmes difficultés que nous.
L’Europe, l’Afrique. Nous connaissons tous la grande proximité de Gibraltar/Tarifa avec la côte nord du Maroc. Le savoir est une chose, le constater de visu en est une autre, tant la proximité est grande. Le regard n’a pas besoin de se déplacer pour embrasser les deux continents. Si proches et si lointains néanmoins.
Inaugurée cinq mois plus tôt, la superbe marina de Tanger est immense et quasi vide. Il y a de la place pour manœuvrer et du monde à l’accueil ! Cinq personnes au moins nous attendent sur le ponton ad hoc dont la police des frontières. Les papiers, visas et autres, sont faits dans la foulée, Soa à peine fini d’être amarré. Aide à l’arrivée, contact sympa de la part de tous, bien agréable. La nuit est tranquille. Cerise sur le gâteau, environnement classe, sanitaires irréprochables en marbre, ville de l’autre côté de la rue… tout cela pour 14 € / jour.
Vendredi 9 novembre 2018
4h30 du matin. Les muézins attaquent en cœur, ça ne passe pas inaperçu. Mes souvenirs de Mayotte et de l’Algérie refont surface d’un coup d’un seul. Un peu chez moi aussi.
9h. Ciel bleu et soleil. Température printanière. Amal, charmante jeune marocaine, vient nous inviter à compléter les formalités de douanes et de port. Quelques papiers supplémentaires qu’elle remplit de sa belle écriture. Sa collègue, tout aussi charmante, nous indique sur le plan de la ville les emplacements intéressants, restaurants et autres, en plus de la médina, parait-il, fort belle. Une équipe du port vient ensuite nous aider à rejoindre la place qui nous a été attribuée. Tous sont très prévenants.
A l’occasion de notre promenade de l’après-midi, nous en profitons pour faire l’acquisition d’une puce téléphonique locale (Maroc Télécom). La meilleure formule semble-t-il pour se connecter à Internet (10 Go pour 10 €, puce elle-même à 3 €) et donc pour téléphoner sans frais supplémentaire. L’équivalent est introuvable chez nous. Il faut cependant avoir en tête que le salaire minimum local est de l’ordre de 200 €.
Nous profitons de la soirée pour boire notre premier thé à la menthe et acheter deux exemplaires de ces pains marocains ronds et plats que j’adore (tels quels ou grillés).
Dimanche 11 novembre 2018
Benoit nous a rejoint en début d’après-midi. Ce dimanche qui voit les commémorations du centenaire de la fin de la « grande guerre » en France (et accessoirement le marathon local), sera notre dernière journée à Tanger.
Cette ville, entre modernité et histoire, m’a séduit. Le souffle du développement et de la modernisation s’inscrit partout dans des programmes ambitieux tel celui de la restructuration et de l’agrandissement des ports de pêche, de voyageurs (ferries pour Tarifa et Gibraltar ; paquebots), de plaisance. La marina, flambant neuve a été inaugurée par le roi Mohamed VI en juin 2018. Elle est au cœur de la ville. Elle est quasi vide pour l’instant, seuls quelques pontons étant en place. L’accueil y a été à la fois sérieux et sympathique avec ce sens de la relation propre aux marocains. Les formalités (police, douanes, port), bien qu’un peu longues, se sont faites sans difficulté. Notre premier visa « africain » a été dûment tamponné.
A deux pas, la ville. Elle est située à l’extrémité ouest de la grande baie qui l’abrite. En plus modeste en termes de taille, elle me rappelle Alger. En quittant le très long quai de la marina, côté gauche, la grande plage et les immeubles modernes. A droite, la ville historique sur son promontoire. Médina et casbah sont superbes. Les multiples mosquées côtoient la cathédrale et la synagogue. Les minarets rivalisent de hauteur et de beauté. L’un dans d’entre eux est octogonal. Le seul en Afrique, dixit Karim, notre guide sénégalais improvisé. Les remparts de la médina ont été largement et agréablement restaurés, tout comme bon nombre de façades de maisons. Le grand marché aux poissons, viandes et primeurs est incontournable. Les étals de poissons sont impressionnants, poissons en tous genres (dont thon rouge que j’adore cru), langoustine, gambas, pouces-pieds, homards, langoustes… Les petites crevettes roses sont décortiquées sous nos yeux. Les balances, version Roberval, n’indiquent pas les prix au centime près. Plus long de chercher les bons poids mais tellement plus convivial.
Les triporteurs locaux constituent l’un des moyens privilégiés de transport de marchandises dans les rues étroites de le ville historique. Ils pétaradent de partout se frayant un passage à grand coup de klaxon.
La kasbah est située dans la partie haute de la médina. Ses rues, particulièrement étroites et abruptes pour certaines, sont parées d’un bleu profond particulièrement agréable à l’œil. Un vrai dédale où il est facile de se perdre. Leur accès n’est pas recommandé la nuit, des trafics divers y étant installés.
A voir aussi, le Salon Bleu, minuscule restaurant-bar particulièrement bien décoré et accueillant. Par deux fois, sur le toit-terrasse, bien installés au milieu des coussins de la confortable banquette, nous y avons dégusté du thé à la menthe avec la mosquée pour vis-à-vis et le croissant de lune pour parfaire l’image. De l’autre côté de la place, nous avons découvert par hasard un autre minuscule havre de paix. Un havre de musique. Les musiciens du Détroit, artistes non professionnels mais oh combien passionnés et talentueux, y font superbement vivre la musique arabo-andalouse. Ils se sont donnés pour mission de la transmettre. Pendant qu’ils jouent, les passants sont invités à entrer, à s’assoir, à déguster un thé, en toute simplicité.
A deux pas du Palais Royal, Karim nous a fait découvrir le café Hafa, une institution locale, fréquentée tant par les tangérois que par les personnalités connues du monde des arts, d’ici et d’ailleurs, notamment. Construit sur un terrain abrupt, ses terrasses s’étagent sur plusieurs niveaux, à la mode du Café des Délices de Tunis. Très bel endroit regorgeant de vie.
Tour cela fait de Tanger une escale incontournable. J’y ai retrouvé le Maroc, que j’avais délaissé depuis trop longtemps. La gentillesse de son peuple, la richesse de sa culture, ses contrastes.
Lundi 12 – mardi 13 novembre 2018
Les données météo pour les jours à venir laissent présager un vent pouvant être fort à certains moments mais globalement faible, voire très faible, dans l’ensemble. La houle annoncée est de deux à trois mètres ce qui rend difficile l’accès à Asilah et Larache tel que nous l’avions envisagé. Nous décidons donc de rejoindre directement Rabat. Cent vingt-cinq milles plus loin environ (230 km).
Nous progressons très lentement et sollicitons le moteur à plusieurs reprises. Une fois les rougeoiements du coucher de soleil disparus, la nuit est noire même si les lumières de la côte sont bien visibles. Anne et Benoit jouent de la guitare et chantent dans le cockpit…
Le vent monte à 12/15 nœuds en début de nuit et tiendra ainsi jusque vers trois heures du matin. Le génois étant peu efficace, nous l’avons roulé et naviguons sous grand-voile seule à plus de cinq neufs. Pourvu que ça dure.
Ça n’a pas duré… un gros trou avant que le vent remonte à 10 nœuds à quatre heures trente. A la vitesse où nous progressons, il est difficile de dire si nous serons arrivés à Rabat avant la nuit prochaine.
Naviguer la nuit… ça ne change pas grand-chose par rapport à naviguer le jour, me direz-vous. En effet, sauf qu’il fait nuit (dixit La Palice)… et qu’on ne voit rien de ce qui se passe autour de nous. Le réglage des voiles se fait à la frontale ou grâce à l’éclairage du pont. Pour ce qui est du déplacement lui-même, le GPS couplé à la cartographie électronique et l’AIS changent tout. Le GPS donne la position du bateau ce qui permet de le visualiser sur la carte. La trace enregistrée permet de voir son déplacement. C’est à partir de ces données que l’on choisit le cap à suivre en fonction de la destination à atteindre, de la direction du vent, du courant. Le pilote automatique se charge du reste. L’AIS apporte, lui, une sécurité importante sur les risques de collision avec les autres bateaux, du moins, ceux qui en sont équipés (certains bateaux de pêche sont encore réfractaires). Lorsque le risque de collision existe, un signal d’alerte retentit. Rien de tout cela n’empêche ou ne remplace la nécessité d’une surveillance constante. En navigation côtière, les lumières des villes constituent un repère physique très intéressant.
Reste la question du sommeil et donc celle des quarts de surveillance. A bord de Soa, sauf exception, nous assurons des quarts de deux heures trente à trois heures ce qui permet aux équipiers qui ne sont pas de quart de dormir entre quatre heures et demie et six heures soit trois à quatre unités de sommeil d’une heure trente. Je et nous préférons ce rythme à celui des classiques deux heures.
En termes de sécurité, le responsable du bord que je suis, impose plusieurs règles pour la personne de quart, seule, par définition. Le port du gilet de sauvetage est obligatoire. Le cockpit est la seule partie du bateau accessible, il est interdit d’en sortir et de se déplacer ailleurs sur le bateau (passe-avant, pont avant…). Chacun dispose d’un bâton de Cyalum (très fortement lumineux lorsqu’on le casse) et d’une balise personnelle de détresse qui permet, en cas de chute à la mer, un repérage grâce à l’AIS. S’il s’avère nécessaire de se déplacer sur le bateau pour manœuvrer, un autre équipier (moi généralement) doit être réveillé et présent. L’utilisation de la longe fixée au harnais permet de sécuriser davantage encore le déplacement, la règle première étant toujours de ne pas passer par-dessus bord. Pour les hommes, en cas de besoin, c’est l’utilisation des toilettes intérieures qui s’impose (en position assise).
17 h. Nous sommes toujours en mer et progressons vers Rabat à 4/5 nœuds sous spi. Il nous reste une petite quinzaine de milles pour arriver. La nuit sera tombée.
21 h. Sans surprise, elle est effectivement tombée (!). Contacté par téléphone, le port nous demande de rappeler par VHF une fois arrivés à proximité. Leur émetteur semble assez peu puissant. Nous rappelons donc lorsque nous sommes à proximité de l’entrée extérieure. La réponse, si elle ne nous surprend pas complétement du fait des informations glanées sur STW (Sail The World, association de navigateurs hauturiers), nous laisse un peu dans l’expectative. L’accès au port n’est pas autorisé compte tenu de la forte houle et du danger que cela représente. Elle pourrait l’être – conditionnel – demain mercredi à partir de 15 h (mi marée montante). Deux options s’offrent donc à nous, faire des ronds dans l’eau à proximité ou poursuivre notre descente jusqu’à Mohammedia, 35 milles plus loin. Après consultation de la météo, désireux de voir Rabat, malgré la houle qui rend la navigation fort peu confortable, nous faisons le choix d’attendre le lendemain pour tenter notre chance, la houle étant annoncée comme moins forte.
Mercredi 14 novembre 2018
Comme prévu, la nuit a été remuante… Au matin, la houle effectivement moins forte et le lever du soleil nous réconcilient avec le plaisir d’être en mer. Bien qu’assez proche de la côte (nous avons fait en sorte de ne pas trop nous en éloigner), nous ne faisons que la deviner. Nous progressons lentement (2 nœuds) sous grand-voile seule. On n’est pas pressés, le temps nous appartient. Nous ne savons pas encore si nous pourrons entrer…
Après que nous les ayons contactés en fin de matinée, la capitainerie nous rappelle vers 16h. Nous allons pouvoir entrer. Une quinzaine de minutes plus tard, la vedette pilote vient à notre rencontre, il suffit de la suivre. Nous passons les deux premières digues en forme d’entonnoir, petit côté orienté vers l’océan. La houle qui a repris un peu d’énergie et n’est pas loin des deux mètres, nous prends dans l’axe, par derrière et nous propulse vers l’intérieur. Sur les trois ou quatre grosses vagues qui nous rattrapent, nous partons au surf comme avec une vulgaire planche du même nom. La sensation est étonnante. Les deux digues intérieures, à moitié immergées lors de notre passage (mi marée pourtant), ouvrent un espace parfaitement calme. Nous rejoignons le ponton d’accueil de la marina située quelques centaines de mètres plus loin. Les formalités, toujours un peu longues du fait de la multiplicité de papiers à remplir, sont faites dans la foulée. Le tout calmement et en français, ce qui est pratique.
Le personnel du port nous guide ensuite à la place qui nous a été attribuée. Le ponton sur lequel se trouvent déjà quelques bateaux non marocains, jouxte celui de la famille royale. Nous sommes là, au cœur du Maroc moderne avec ses immeubles flambants neufs que rien ne distingue de ceux du sud de le France ou d’ailleurs.
Jeudi 15 novembre 2018
J’entame ma découverte de la ville par un tour au Consulat de France pour voir ce qu’il est envisageable de faire pour remplacer mon passeport, la photo principale, du fait d’une petite entrée d’eau mal venue n’étant plus guère visible. Reçu immédiatement, il m’est indiqué que ma venue est tardive. 11h45 à ma montre pour une fermeture affichée pour 13h. Je ne voyais guère le problème. L’adresse d’un photographe m’est néanmoins donnée. Je m’y rends immédiatement. Fermé là encore, malgré une fermeture également annoncée pour 13h. Cherchez l’erreur !
Résigné à attendre le lendemain (Consulat et photographe fermés l’après-midi), je prends un taxi bleu (intra-muros) pour rejoindre la kasbah. Après une bonne heure de balade je me mets en quête d’un endroit pour manger. Tajine et thé à la menthe pour le plaisir…
Le jardin situé au cœur de la ville est un vrai havre de verdure et de paix. Malgré cela, au global je n’ai pas le coup de cœur que j’ai pu ressentir à Tanger. Cela n’enlève rien au cachet de ses hautes murailles couleur terre, à ses portes monumentales, à ses ruelles sympas.
En fin d’après-midi, mon amie Anne qui est en poste à Rabat, passe me dire bonjour. Nous prenons rendez-vous pour diner le lendemain soir.
Vendredi 16 novembre 2018
Compte tenu des problèmes d’horaires d’hier, je saute du lit à… 8h30. Il ne faut pas exagérer non plus. Tramway (pris à deux ou trois cents mètres du bateau), puis taxi, je suis chez le photographe à dix heures. Quelques minutes plus tard, j’ai mes clichés en poche, barbe comprise. La seule moustache qui caractérisait la photo précédente de mon passeport, n’est plus d’actualité. Comme une marque du temps, une marque de cette nouvelle phase et de ce nouveau mode de vie. Presque un retour aux sources. Sans doute pas de hasard.
Après un peu d’attente au Consulat, prise d’empreintes et autres, la demande de renouvellement du passeport est en route. L’un des deux employés était en poste précédemment à Madagascar. Il travaillait avec Evelyne que j’avais connue et avec qui j’avais travaillé à Annaba quelques années plus tôt, lors de mon épisode algérien. Hasard toujours.
Question erreur, réponse aussi simple qu’inattendue, le Roi a décidé, la veille de la date programmée du changement d’heure, de ne rien changer ! Ce que nous ne savions pas.
En fin d’après-midi, après mon deuxième tour dans la kasbah-médina, Anne passe me prendre. Avant d’aller chez elle (et Bruno), nous faisons un crochet au supermarché de luxe Casino. L’appellation n’est pas usurpée, la variété des produits proposés et leurs prix en atteste. Vins, fromages, etc… sont au rendez-vous. Plus chers qu’en France, mais bon…
Soirée sympa ensuite entre évocation du passé, dissertation sur l’actualité locale, celle de la France… et un excellent porc au caramel préparé par Bruno. Grand merci aux deux.
Samedi 17 novembre 2018
Matinée consacrée au remplacement de la pompe du frigo (qui fuyait) par celle toute neuve que Benoit a eu la gentillesse de me rapporter. Essentiel un frigo… Cette nouvelle défaillance matérielle me conduit à dire, selon la formule quasi consacrée, que « lorsque tout fonctionne, c’est qu’il y a un problème ». En l’occurrence, c’est la seule pompe pour laquelle je n’avais pas pris de remplaçante. Erreur. A vrai dire, il faut tout avoir en double ou triple si on veut être à peu près tranquille : pompes à eau, frigo, WC, pilote automatique, cartographie numérique, VHF, GPS, etc. J’aurais tendance à dire aussi : « si vous n’êtes pas bricoleur, ce genre de déplacement au long cours en bateau, n’est pas pour vous ».
Cap sur Salé, pour moi, cet après-midi. La médina est beaucoup plus aérée. Là comme ailleurs, on trouve de tout, vêtements, ustensiles divers du quotidien, nourriture… Les carcasses de moutons ou de vaches pendent aux devantures des bouchers. La peau avec la laine, un peu plus loin. Le poisson, les fruits (grenades, bananes, oranges, mangues) et légumes, les olives, les pâtisseries…
Au détour d’une rue, je « tombe » sur Hanane, jeune artiste peintre de vingt-cinq ans. Elle accepte que je fasse une photo d’elle et de la toile qu’elle réalise. Elle travaille pour la galerie qui se trouve à quelques pas. Son foulard rouge, soigneusement placé, met son visage en valeur. Ses yeux et son sourire illuminent l’image. Elle me dira ensuite que, pour vivre, elle exerce une deuxième activité, celle d’éducatrice pour jeunes enfants.
Dimanche 18 novembre 2018
Je suis dans le train qui m’emporte vers Fès. Ville impériale inconnue de moi que je souhaitais découvrir. C’est la première fois que j’utilise ce moyen de transport depuis mon départ. C’est parait-il le plus sûr. C’est en tous cas le plus pratique quand les liaisons existent. Au Maroc, elles ne couvrent pas tout le territoire. Dans ce domaine, Sa Majesté le Roi Mohamed VI vient, en compagnie de notre Président, Emmanuel Macron, d’inaugurer le TGV qui relie désormais Casablanca au sud à Tanger au nord, en passant notamment par Rabat. Le pays se modernise à grands frais.
En deux heures et demie de voyage, j’ai le temps d’admirer le paysage. Les montagnes ne sont jamais loin. Les villes et villages apparaissent comme des chantiers permanents. Les immeubles poussent partout en grand nombre, de façon un peu désordonnée souvent. Les mosquées, partout présentes, affichent fièrement leur minaret. Certains ont belle allure. Les drapeaux marocains sont omniprésents. L’étoile verte à cinq branches placées en son milieu est mise en valeur par le fond rouge. Chacune des cinq branches représentent l’un des cinq piliers de l’Islam.
Au détour d’un virage apparait une sorte de cimetière de trains. Locomotives et wagons, tous largement désossés, rouilles paisiblement en chœur.
Fès donc. La gare (ici, on dit de trains en opposition à celle des autobus) est assez loin de la ville. Les taxis (rouges) tournent sans arrêt. Le mien, même si plusieurs personnes montent en même temps, me dépose à Bab Boujloud (bab = porte), à l’entrée de la médina. Je poursuis à pied pour rejoindre le Riad dans lequel j’ai réservé une chambre.
Longer un mur austère dans un derb en impasse, pousser une porte anonyme, massive, semblable à toutes les autres. Entrer dans un couloir en chicane, sombre… et là, découvrir le calme et la fraîcheur du patio, le murmure de la fontaine au milieu des orangers, le jasmin qui tombe de la terrasse. Son jardin dessiné en carré, le riad est un vestige du Paradis perdu. (Poète orientaliste français anonyme de la fin du XIXème siècle)
Construits au cœur de la Médina de certaines villes (Rabat, Fès, Meknès…), les riads sont un condensé de l’architecture traditionnelle marocaine : on y trouve des arcs andalous ou arabes, des gaps d’une grande finesse (plâtres sculptés), des colonnes… Bref, tous les éléments traditionnels de la culture arabo-andalouse.
https://riadaumaroc.wordpress.com/definition-riad/
Situés le plus souvent dans une médina, les riads sont entièrement refermés sur l’intérieur, isolés par de hauts murs neutres et austères, avec un minimum d’ouvertures pour protéger de la chaleur et du bruit de la rue.
Les riads s’organisent autour d’un patio – salon – salle à manger central, comme base d’une structure architecturale en forme de puits étagé en balcons tournés sur l’intérieur, inspirée de l’habitat arabo-andalou traditionnel, de l’héritage persan et de l’héritage romain (atrium d’habitation de la Rome antique).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Riad
Situé au cœur de la médina, j’ai un peu de mal trouver le mien malgré l’aide précieuse du GPS de mon téléphone. Relativement modeste par sa taille, il n’en est pas moins splendide. Le patio, coiffé dans sa partie haute d’une verrière, doit faire aux environs de cinq mètres sur cinq. C’est lui qui apporte la lumière à l’ensemble de l’habitation. Il distribue les pièces de la maison sur trois niveaux, salon d’accueil, appartements, chambres à l’étage. Murs décorés de stuc, lourdes portes en bois travaillé, fontaine, carrelage tant aux murs qu’au sol, tapis, lampes ajourées… La fontaine, ici, n’est pas au centre mais le long d’un mur. Toutes les pièces sont superbement carrelées et décorées. Les portes, massives, sont sculptées. Les plafonds sont très hauts. La chambre qui m’est attribuée est au deuxième étage. Relativement étroite (2,5 m), elle est longue de six ou sept mètres. La salle de bains est dans le prolongement, sur le côté. Ses ouvertures, fermées le cas échéant par des volets intérieurs, donnent sur le patio. Pas de vitre ici, seulement des balustres en fer forgé pour la sécurité. Très beau, le carrelage est aussi très froid. N’ayant pas emporté mes babouches, je m’en suis acheté une autre paire (120 dirhams / 11 €).
Une fois installé, je pars déambuler pour une première découverte de la médina.
Lundi 19 novembre 2018
Aujourd’hui comme hier, j’ai arpenté divers lieux de la ville. La médina est un enchevêtrement de rues, ruelles et passages. Un dédale où, immanquablement, on finit par se perdre. Ses boutiques, immenses ou de quelques mètres carrés, en font une sorte de bazar continue. Tout s’y achète et s’y vend, herbe (à fumer) comprise.
Ses ateliers d’artisanat, minuscules parfois, offrent la vision d’un monde laborieux qui ne roule pas sur l’or. A l’évidence, les conditions de travail sont tout sauf faciles. Exiguïté, promiscuité, hygiène défaillante, absence de lumière du jour… Cela relativise grandement la perception de nos petits problèmes de « riches ». Sans parler du poids de la religion et, notamment, de la place des femmes dans la société. Dans leur très grande majorité elles sortent couvertes d’une écharpe (ou plus). Les hommes sont seuls à fréquenter les terrasses de café. L’évolution perçue par les résidents étrangers, ne va pas dans le bon sens. La perception était la même en Algérie lorsque je m’y trouvais (2009-2011). Nous ne mesurons pas assez la chance qui est la nôtre de vivre dans un pays libre où l’on peut croire ou non, s’habiller selon notre bon vouloir, se déplacer comme on le veut, boire de l’alcool si on le souhaite… Pays de contraste extrême, à l’autre bout de la société, le luxe est partout.
Mardi 20 novembre 2018
Parti dimanche, je viens de rentrer de Fès.
Mercredi 21 novembre 2018
Nouveau repas chez Anne et Bruno en compagnie cette fois de Batoul et Valérie, deux collègues de travail d’Anne et de mes équipiers, Anne et Benoit. Bruno nous a préparé le haut d’une cuisse de cochon. L’un de ceux qu’il élève dans la campagne. Un régal !
Jeudi 22 novembre 2018
Cela fait quatre mois aujourd’hui que Soa et moi avons quitté La Rochelle. Le temps est passé rapidement.
Vendredi 23 novembre 2018
Avant notre départ pour Mohammedia, prévu pour cette après-midi, je repars au consulat dans l’espoir de récupérer mon nouveau passeport. Je connais désormais parfaitement le chemin (et la bonne heure légale). Tramway « ligne 1 » jusqu’à la Bibliothèque Nationale puis quelques centaines de mètres à pied. La valise diplomatique par laquelle les passeports et autres documents sont transportés depuis la France, n’étant pas encore là, je patiente une grosse heure entre espoir et incertitude. Une fois arrivée et vidée de son contenu, une fois les passeports qu’elle contient passés en revue, il m’est indiqué… qu’il n’y a rien pour moi. Les passeports reçus sont ceux dont la demande a été déposée au plus tard le jeudi de la semaine précédente. J’ai déposé la mienne le vendredi, un jour trop tard… C’est donc parti pour une semaine supplémentaire d’attente dans la mesure où il n’y a qu’une seule valise par semaine.
Peu de temps après mon retour à bord de Soa, Saïd (employé du port) vient nous prévenir que la sortie n’est pas sûre compte-tenu de la hauteur de la houle. Le bateau pilote doit aller voir l’état exact de la situation à l’entrée des digues extérieures du port. Il nous appelle un peu plus tard par radio et nous confirme que nous ne pourrons pas sortir aujourd’hs. Un voilier qui lui, se présentait pour entrer, est dérouté vers Mohammedia. Le départ est donc remis au lendemain, Inch’Allah !
Dans l’espoir de pouvoir partir plus vite le lendemain et dans l’incertitude de pouvoir en faire à Mohammedia, nous décidons de faire du gazole dans l’après-midi. Deux cents litres pour deux cents euros. Beaucoup plus doux que chez nous en termes de prix. Une fois les deux centre litres engrangés, nous prévenons les gens du port présents que nous allons sortir de l’enceinte de la marina et faire un tour dans la rivière (Bouregreg) juste devant, ce que nous faisons durant environ vingt minutes (cinq cents mètres environ). A notre retour, nous sommes quelques peu sermonnés par le directeur de la marina qui ne comprend pas que nous ayons pu faire une chose pareille sans une autorisation expresse de sa part. La question de la sécurité est bien sûr mise en avant. Les employés du port à qui nous nous étions adressés, n’avaient pas transmis. Ils ont dû, à postériori, se faire sérieusement remonter les bretelles. Cet épisode illustre parfaitement bien la volonté de contrôle – un brin tatillonne – qui règne à tous les étages au Maroc.
Pour les « voileux » qui passeront par-là, le fait d’être adhérent à STW permet de bénéficier de 20% de remise sur un prix qui est déjà très bas (10 € hors remise, à cette saison). La marina présente beaucoup de qualités et avantages. Très protégée, très surveillée (vigiles et policiers en nombre sans que ce soit pénible), facile d’accès, avec eau, électricité, sanitaires et un personnel sympa… Dans ce dernier domaine, une mention toute particulière pour la gentillesse et la disponibilité de Saïd. Ancien sportif de haut niveau, parlant le français comme vous et moi, il est prêt à faire tout ce qui peut nous être utile. Une belle rencontre.
Samedi 24 novembre 2018
Il nous est confirmé que nous allons pouvoir sortir en fin de matinée. Une fois passé par la case police et douanes (nouveaux tampons sur les passeports, nouvelles fiches à remplir, petite visite de pure forme sur le bateau), nous franchissons les digues extérieures vers quinze heures. Pas bien tôt donc. Mohammedia étant à environ trente-cinq milles en trace directe, le vent dans le mauvais sens (ce qui conduit à en faire le double voire un peu plus) nous prévoyons une arrivée dans la nuit voire demain matin. Il fait beau, la houle est longue et donc pas trop gênante, il y a du vent, nous sommes contents de naviguer… Que demande le peuple ?!
Ma copine Anne qui dinait avec la Consule hier soir, s’est vue confirmer que je ne pouvais pas prendre possession de mon passeport ailleurs qu’à Rabat puisque c’est là que j’avais déposé ma demande (une question d’empreintes digitales à reprendre semble-t-il). Simple confirmation de ce qui m’avait déjà été dit au consulat. Dommage.
18h30. Plein-feux sur le coucher de soleil. On ne s’en lasse pas. Un peu plus tard, lever de lune… orange et lumineuse. Elle éclairera notre navigation nocturne.
Dimanche 25 novembre 2018
2 h. Nous jetons l’ancre dans l’avant-port de Mohammedia aux côtés de trois autres voiliers qui s’y trouvent déjà, dont la cata qui est parti avant nous ce matin de Rabat. Sans doute a-t-il fait le parcours au moteur. Le mouillage est calme.
Jour de mon anniversaire, ce 25 novembre (Sainte-Catherine) est le premier du voyage. Il revêt de ce fait un caractère un peu particulier. J’ai reçu à cette occasion beaucoup de messages sympas par les moyens (modernes) les plus divers. Grand merci à tous.
Le soir, j’ai Inaya et Caroline en vidéo. Super. Inaya arbore à son poignet une montre bleue que je n’avais pas encore vue. Un modèle spécifique à aiguilles pour apprendre à lire l’heure. A l’époque de mon activité professionnelle, j’ai toujours insisté pour que cet apprentissage soit effectivement réalisé le plus tôt possible Dans cette même conversation Inaya m’indique que désormais, elle sait lire. Cinq ans deux mois, bravo, grand bravo.
En toute fin de soirée, Maud et Valérie qui ont voyagé sur le même avion Paris-Casablanca, nous rejoignent.
Anne et Benoit on fait des courses pour améliorer l’ordinaire et fêter l’évènement (celui de mon temps qui passe). Du champagne, une tapenade locale extra, une mixture à base de sardines pour l’apéro préparée par Anne, un vieux Bordeaux pour accompagner, sans oublier les pâtisseries locales et le petit rhum… Quelques cadeaux compléteront ce charmant diner. Merci.
Lundi 26 novembre 2018
Le vent a tourné et a forci de manière très significative durant la nuit. L’alarme de mouillage (qui alerte quand on sort d’un cercle prédéfini) retentit à plusieurs reprises sans indiquer de dérapage. Le bateau tangue (avant/arrière), nous sommes passablement secoués. Au réveil nous découvrons un voilier échoué sur le sable de la plage toute proche…
Nous sollicitons une place au port et nous y installons en fin de matinée. Le responsable du port (marina est, ici, un mot qui n’a guère de sens) nous demande la durée de notre séjour, tout en nous indiquant que les prix pratiqués sont élevés. C’est peu de chose de le dire, ils sont à faire fuir (équivalent de 56 € / 13,70 m fin novembre, plus cher qu’à La Rochelle en haute saison !). Sur l’équivalent des 60 € donnés, pas de rendu monnaie… sympa. Si l’on ajoute à cela que le responsable en question n’est pas disponible avant 10 h le matin (pratique quand on a une navigation un peu longue à faire), que la pompe à gazole est inaccessible aux voiliers, les cargos dont le moteur tourne en permanence à quelques dizaines de mètres… on comprend bien les raisons objectives qui fondent le tarif appliqué. Chercher l’erreur.
Au vu des conditions de vent, de la nécessité pour moi de revenir à Rabat pour prendre possession de mon nouveau passeport, des colis de matériels que je dois récupérer à Casablanca, Valérie et moi faisons une croix sur Madère. Bien dommage… Ne souhaitant pas prolonger l’expérience « Mohammedia », nous décidons de rejoindre Rabat le lendemain.
Pour finir la journée et se remettre de nos émotions portuaires, un petit restaurant local de poissons à l’entrée de la kasbah. Le « guide » improvisé qui nous y conduit passera le reste de la soirée avec nous, thé à la menthe compris dans un café à proximité du restaurant.
Mardi 27 novembre 2018
8 h. J’ai déjeuné et suis devant le bureau de police pour les formalités de départ (fiche de ceci, tampon de cela…). Une demi-heure plus tard, le même policier, accompagné d’un douanier, est à bord pour une visite toute symbolique. Nous partons dans la foulée de façon à avoir le plus de chance d’arriver avant la nuit. Comme au moment de la descente vers Mohammedia, nous avons le vent en pleine face, mais cette fois-ci nous ne pouvons nous permettre de prendre notre temps. Moteur donc, de bout en bout.
16 h. Nous sommes amarrés dans la marina de Bouregreg (une vraie celle-là pour un tarif 6 fois moins élevé). En plus des policiers et douaniers, un thé à la menthe nous attend sur le ponton !!! Merci Saïd, pour cet accueil fort agréable.
Vendredi 29 novembre 2018
Hier soir, Anne et Bruno sont venus diner à bord. Nous leur avons préparé, selon leur souhait, un repas français : rillettes de sardines au piment d’Espelette, poivrons de toutes les couleurs et formes, tranches de congre de chez mon poissonnier local habituel, crumble aux pommes. Bourgueil et bon Bordeaux, suivi d’une dégustation de rhums vieux. Soirée sympa.
Ce matin, je suis de nouveau dans la salle d’attente du service de l’État civil du Consulat. Ayant ajusté mon horaire, la valise diplomatique arrive quelques minutes seulement après mon arrivée. Plus d’une vingtaine de minutes s’écoulent avant que je sois invité à entrer dans le bureau. Quelques interrogations ont eu le temps de s’insinuer dans mon esprit durant ce temps. Les passeports ne sont pas encore déballés. Les pochettes de cinq ou six qui les contiennent sont ouvertes, devant moi, les unes après les autres. Rien pour moi dans la première, rien dans la deuxième, rien dans la troisième… Rien pour moi dans l’avant-dernière… Suspense et vague inquiétude ! Ouf, il est dans la dernière. Comme quoi, le pire n’est jamais sûr. Je dois bien dire que cela soulage, en prendre pour une semaine de plus aurait été problématique.
Dans l’après-midi, nous avons visité la caverne de Saïd le maroquinier. En pleine discussion dans la rue au moment de notre arrivée, il nous ouvre immédiatement ses portes. Largement promotionnés par Anne, ses produits sont d’une très grande finesse. Coloris et formes sont infinis. Valérie y fera quelques achats.
Dimanche 2 décembre 2015
Les conditions de sortie du port n’étant pas bonnes, nous faisons le choix de faire un saut dans une des villes environnantes : Meknès, Casablanca, Tanger. Suite aux échanges avec Anne et Bruno (et à mon propre avis), nous arrêtons le choix de Tanger. Éloignée de 240 kilomètres, le tout nouveau TGV permet de s’y rendre en une heure vingt pour la modique somme de 15 € (billet pris à la dernière minute, 9 € sinon). Le TGV est un produit de chez nous, identique en tous points aux nôtres. Un exemple de la modernisation du Maroc sur un axe économique essentiel pour le pays, Tanger-Rabat-Casablanca. L’écart est cependant saisissant si l’on songe aux pontons totalement délabrés (il manque la moitié des lattes au moins) qu’utilisent les barques des passeurs du fleuve, juste en face de la marina, flambant neuve elle aussi. Le Maroc est partout et à propos de toutes choses, dans ce paradoxe.
La gare, tout juste inaugurée, est somptueuse, mélangeant modernité et tradition. Dans le hall central, la fontaine, longue travée de jets d’eau, est entourée de palmiers. L’ensemble est du plus bel effet.
La ville possède un cachet qui fait défaut à Rabat. Le Salon Bleu, un havre de paix. Le restaurant tenu par une association de femmes est d’un accueil très agréable. Les rues de la médina et de la kasbah sont des modèles du genre… Tout cela sous le soleil. Dans la rue, les interpellations se font d’abord en espagnol et en anglais… le français ne vient qu’ensuite.
Le Riad Arous Djamel est organisé sur le même modèle que celui de Fès à une nuance près, il possède une sorte de coursive à chaque étage qui fait le tour du puits central apportant la lumière à l’intérieur. Depuis la terrasse, la vue sur les toits de la ville, la baie, les ports, est somptueuse. Tarifa côté espagnol est bien visible.
Avant l’excellent diner que nous servira le Salon Bleu, nous passons réécouter (pour moi) les Fils du Détroit et leur musique arabo-andalouse. Trois femmes marocaines sont là. Elles chantent et tapent dans leurs mains avec les musiciens. Elles nous confieront ensuite que, bien qu’habitant Tanger, c’est la première fois qu’elle viennent dans cet endroit (très réputé auprès des touristes).
La nuit tombe durant notre retour. Vues au loin, les chaines montagneuses s’estompent progressivement.
Lundi 3 décembre 2018
Sur les conseils d’Anne (encore !), nous avons réservé des massages au Sofitel (moitié prix le matin). Un autre monde dans un cadre d’exception… salons immenses, matériaux, décoration, fontaines, motifs en petites pierres de rivière au sol… Les salons de massage sont à la hauteur, le massage lui-même également. J’en profite pour découvrir le jacuzzi. Deux bassins circulaires d’environ deux mètres cinquante permettant de tenir à trois ou quatre. Sauna attenant avec 96° affiché de température. C’est une chaleur sèche, soit, mais je ne voudrais pas finir comme les homards du marché, cramoisi…
Cette journée est celle d’un rassemblement international abrité par le Sofitel. Grosses voitures, hommes en uniformes dégoulinant de couleurs et de décorations…
Mardi 4 décembre 2018
Nous consacrons l’essentiel de la journée à la préparation de Soa (pleins d’eau, lavage…) et à l’approvisionnement. Nous arpenterons donc une dernière fois les rues et ruelles de Salé. Une mention spéciale ici pour ma charrette à main version grand-mère (le truc avec deux roues qu’on tire derrière soi). Elle est parfaite pour faire les courses et rapporter, poivrons, courgettes, oranges, kakis, grenades et autres. Nous passons prendre de la tapenade (5 € les deux belles barquettes), des pains (une dizaine pour 2 €), de la soupe (harira, quatre parts pour 2 €), des pizzas (2,5 € chaque), des gâteaux… J’avais cherché en France, sans les trouver, des tabliers de cuisine en toile cirée (version Mémène pour reprendre la chanson). Ici, il y en a partout. Fin du fin, le motif rappelle celui des toiles cirées que j’utilise pour protéger mes tables (pensée pour celles et ceux qui les moquent, moi, j’y tiens beaucoup, à mes toiles cirées !).
Notre boulangère attitrée nous a accompagné chez le pizzaiolo pour lui recommander de bien nous traiter. Adorable.
Les colis que j’attends sont toujours en dédouanement, quinze jours déjà. Pourrai-je les récupérer avant de quitter le Maroc ? L’avenir proche le dira. Une leçon à ce sujet. Nous n’avons jusque-là trouvé aucun shipchandler au Maroc, et pratiquement rien en Espagne et au Portugal, sauf du très basique, type cordage, manilles… Il est donc essentiel d’emporter plus que l’indispensable en ayant en tête que tout matériel embarqué tombera en panne et ce, plutôt deux fois qu’une (j’ai par exemple des problèmes récurrents avec les pressostats des pompes à eaux, une petite pièce qui fait démarrer la pompe lorsque le pression du circuit est modifié par l’ouverture d’un robinet).
Mercredi 5 décembre 2018
Les bonnes conditions de houle (pour sortir du port) nous feront effectivement quitter Rabat ce matin. Contrairement à ce qui était prévu, le soleil n’est pas au rendez-vous, une brume tenace et relativement épaisse, sévit.
Notre passage au ponton de police et de douane prend un peu de temps. Saïd s’évertue à faire avancer les choses tant du côté du carburant (le préposé avait disparu) que du côté du pilote. Accompagné de son maître, le chien renifleur finit quand même par arriver. Capots ouverts, il fait le tour du bateau et… renifle. Rien de prohibé semble-t-il. Les douaniers ont fait leur tour à l’intérieur ouvrant quelques placards, planchers et autres. La réserve de bières, vins et alcool ne les a pas fait frémir. Ouf !
12 h. Dans le sillage du pilote, nous nous dirigeons vers la sortie du port. La houle est significative mais pas rédhibitoire. Nous croisons Altise, un bateau qui, lui, veut entrer. Nous saluons chaleureusement Saïd au moment où le bateau pilote repart en sens inverse. Cet homme, aussi aimable que serviable, restera dans ma mémoire.
Nous entamons notre descente vers Mohammedia ou El Jadida plus au sud. Nous déciderons en route d’un arrêt pour la nuit où d’une navigation en continue jusqu’à El Jadida. Même motif, même punition qu’à l’aller, pas de vent, donc moteur de bout en bout…
Je regarde les trajets à venir pour atteindre Agadir (d’où repart Valérie et arrivent Hélène et Marianne). Encore du chemin puisque près de trois cents milles (cinq cents kilomètres environ) à parcourir. Pour calculer les distances et faire la route, en parallèle de la centrale de navigation Garmin, j’utilise Open CPN. Simple et pratique. Pour éviter de passer mon temps à ouvrir et fermer l’application, je me sers d’une carte routière (pour les voitures et autres) sur laquelle je reporte les distances, les avis sur les ports et, à posteriori, mon propre avis. La carte en question me permet d’avoir une vue d’ensemble facilement consultable à tout moment. En complément, lors de rencontres avec d’autres équipages, je note leurs avis sur les destinations à venir. Très, très pratique à tous niveaux.
Jeudi 6 décembre 2018
Arrivés hier soir à 19 h dans l’avant-port de Mohammedia, nous y avons passé une nuit très tranquille. Une seule alerte de mouvement du bateau au moment de l’inversion de la marée. Le système d’alerte de dérive de mouillage est très sécurisant. Dès que le bateau sort d’un cercle à la position et au diamètre préalablement définis (25, 50 m…), l’alarme retentit. Cela permet de vérifier ce qui se passe, rotation autour de l’ancre ou dérapage. Très appréciable.
Repartis à 9 h ce matin sans avoir vu, ni douanes ni force de police (ça viendra peut-être plus tard), nous visons une première portion de route qui nous éloigne de la côte afin de tenter de trouver le vent qui est censé s’y trouver. Cap quasi plein ouest donc (260°) alors que nous sommes partis pour descendre plus au sud. Ainsi va le déplacement à la voile. Chance quand même, alors que nous pensions devoir utiliser le moteur, nous parvenons à naviguer aux alentours de quatre nœuds à la voile. Il y a quelques temps que ce n’était pas arrivé. Sympa.
La mer étant belle, malgré la houle, j’en profite pour cuisiner les tomates et poivrons achetés à Salé. Avec une petite salade d’avocats pour démarrer, des aiguillettes de dinde en accompagnement, des grenades décortiquées en dessert, le repas devrait être très correct.
Un peu après dix-sept heures, alors que nous naviguons sous spi, nous apercevons un très important groupe de dauphins qui se rapproche de nous. Plusieurs dizaines, 40, 50… 100. Impossible à dire mais je n’en avais jamais vu autant. Ils nous ont fait la fête pendant environ vingt minutes, cabrioles et sauts à la verticale compris. Un régal.
Nous affalons le spi (merci la chaussette) pour préparer la nuit qui arrive à grand pas et tombe rapidement vers 18h30. Nous naviguerons sous grand-voile seule, éclairés par la voie lactée, somptueuse. Parfois, la surface de l’eau s’illumine de plancton.
Première nuit depuis quelques temps, le rythme des quarts est difficile à prendre, se sortir d’un lit chaud et douillet, n’est pas facile. Les quarts sont assurés depuis le cockpit et/ou depuis le carré bien au chaud. Merci Soa.
Vendredi 7 décembre 2018
Petit déjeuner commun vers dix heures du matin, déjeuner à treize heures… une bonne sieste là-dessus et la journée peut se poursuivre tranquillement.
Il fait beau, le soleil est bien présent, la mer relativement calme. Je mets à profit le reste de l’après-midi pour trier tout un tas d’articles de voiles glanés au fil de mes années de lecture des magazines correspondants. J’en ai encore de Loisirs Nautiques, mensuel pourtant disparu depuis longtemps… mais regretté. Parmi eux, beaucoup d’articles sur des navigations dans des lieux où je devrais me rendre : Canaries, Cap-Vert, Antilles, Brésil… D’autres sont consacrés à des aspects techniques (entretien du moteur, épissures) ou à des tests (gilets de sauvetage, lampes frontales…). Des éclairages – sans jeu de mots – toujours intéressants.
Dans un autre domaine mais toujours dans le registre des informations, une mention tout à fait spéciale concernant celles fournies par STW (Sail The World) sur les ports et marinas via le témoignage de ses adhérents (dont je fais partie depuis quatorze ans !). Ils apportent beaucoup d’informations très précieuses (accès, pontons, prix, adresses et lieux à visiter…). Une belle et appréciable entraide collective.
L’océan qui nous entoure – nous n’aurons vu aucune terre de toute la journée – est d’un bleu acier profond et lumineux que je pense ne jamais avoir observé avant. Vraiment magnifique.
Fin d’après-midi. Le vent est monté d’un cran, 22 à 28 nœuds (40 à 50 km/h environ) maintenant. Nous faisons des pointes à 8 neufs sous grand-voile seule. Pas très bon pour la nuit et encore moins pour la distance qui nous reste à parcourir (arriver de nuit à Essaouira n’est franchement pas une bonne idée). Tandis que le soleil se couche, nous réduisons la grand-voile en prenant un ris (un ris correspond à une quantité donnée de voile qu’on enlève pour disposer d’une surface moins importante ce qui permet au bateau de ralentir). L’enrouleur intégré au mat est, ici, d’une facilité extrême. Malgré cette réduction, nous naviguons entre 5,5 et 6 nœuds.
Samedi 8 décembre 2018
Au changement de quart de minuit, le vent n’ayant pas faibli, nous décidons de réduire encore la grand-voile en prenant un ris supplémentaire. Malgré cela, et bien qu’il ne reste plus grand-chose comme surface de voile, nous sommes toujours autour de 5 nœuds… Arrivée vraisemblable à Essaouira aux alentours de huit heures, c’est-à-dire juste au moment du lever du jour.
Soa glisse dans la nuit. Les vitrages du carré ne renvoient que du noir. Sensation étrange, comme le sentiment d’être dans un vaisseau spatial…
6h00. Début de mon deuxième quart. En plus de la houle d’au moins deux mètres, la mer est hachée et croisée. Si cela ne facilite pas le sommeil, cela sollicite un maximum le pilote automatique. Résultat, il a consommé beaucoup durant la journée d’hier et la nuit. Histoire de recharger un peu les batteries, je fais tourner le moteur et sa génératrice de 3000 watts intégrée. Résultat, 105 Ah de charge. Ce ne serait pas mieux si nous étions à quai. Tant qu’à faire et comme il ne fait pas chaud, je teste le chauffage (il fonctionne avec le liquide de refroidissement du moteur, 83°). Bonne nouvelle, ça chauffe vraiment…
Côté déplacement, puisque le vent et donc la vitesse ne baissent guère, j’essaie d’allonger le plus possible la trajectoire pour retarder un peu l’heure d’arrivée. Il nous reste une petite dizaine de milles à parcourir et il ne devrait pas vraiment faire jour avant une heure et demie.
7h00. La blancheur du jour naissant pointe le nez. Une rougeur du ciel, diffuse d’abord, plus intense ensuite, lui succède. La surface de l’eau est maintenant bien visible. Le jour finit par poindre vraiment. La houle est forte, sans doute pas loin des trois mètres. Nous nous interrogeons sur les conditions de passage dans le goulet qui ferme la baie d’Essaouira. Nos tentatives de joindre le port par VHF restent lettre morte. Altice, un autre voilier français, est quasi derrière nous, sans que nous ne nous soyons encore vus. Après quelques échanges radio, il nous laisse ouvrir la voie. Les barques de pêcheurs nous obligent à slalomer pour franchir le goulet. Quasi instantanément, la surface de l’eau devient plus calme. Nous décidons de tenter notre chance dans le port lui-même. A l’entrée, un homme nous fait signe de nous placer contre le quai, juste en arrière de la jetée et du bateau de sauvetage. Altice, qui arrive directement d’Espagne, nous y rejoindra et se placera à couple. Nous faisons les formalités dans la foulée… une bonne heure, comme à chaque fois.
L’après-midi est consacrée à une balade au gré de l’inspiration. Essaouira, comme tout le Maroc, est en pleine transformation. Le port est en cours d’extension afin de créer de meilleures conditions d’accueil des bateaux de pêche (exclusivement). Un nouveau terre-plein, en lieu et place de l’ancien, sera dévolue à la construction des chalutiers en bois. Cette construction, à elle seule, assure le spectacle. Ces bateaux de 25 à 30 m sont construits en bois de façon quasi traditionnels. Leur poids final est généralement compris entre 250 et 300 tonnes ! Un « roulev » (roule/lève) permettra de les sortir et de les mettre à l’eau. D’un beau bleu, ce nouvel outil est actuellement en cours de montage.
La médina est superbe, proprette, touristique. Beaucoup de riads ont été rachetés par des européens, français notamment. Les bars et restaurants foisonnent. L’agent de la police maritime qui nous avait accueilli et avec qui nous avons pas mal échangé nous dit qu’à Essaouira, désormais, « pour un arabe, il y a deux étrangers ». Même si sans doute un peu exagérée, cette formule souligne l’importance du tourisme.
Parmi les restaurants qu’Anne et Bruno nous avaient indiqués, la terrasse du Taros (nom du vent d’ici) est sympa mais bien fraîche, le Caravane Café est fermé… Nous expérimentons donc le Patio. Propriété de français, ce riad est superbe et parfaitement tenu. Les ris de veau, le poisson… nous régalent. Nous aurons même droit à une dégustation… de cognac.
Dimanche 9 décembre 2018
La nuit est agitée du fait de la houle qui rentre dans le port. Le marnage qui oblige à garder une longueur conséquente d’amarres, rend le bateau très mobile. Au gré de ses mouvements latéraux il vient heurter le quai parfois assez durement malgré les pare-battages. Les réglages plus courts succèdent aux réglages plus longs faisant alterner sommeil et réveils tout au long de la nuit.
Durant mes sorties sur le pont, j’ai pu assister aux départs nocturnes des chalutiers ((25 à 30 m) et des canots traditionnels (environ cinq ou six mètres, proue très haute pour affronter la houle, quatre hommes à bord dont la seule protection se résume à un ciré).
Essaouira, La Rochelle. Deux villes maritimes de caractère. Le hasard ne doit rien au fait qu’elles soient jumelées. Deux ports. L’une a gardé son activité pêche en son cœur, poumon de vie et de rencontres entre ses travailleurs de la mer, durs à la tâche, de jour comme de nuit, dans des conditions notoires d’inconfort, d’humidité, de danger… et sa population qui s’amasse sur les quais au moment où les bateaux rentrent. L’autre a exporté cette même activité en périphérie et l’a, de ce fait, coupée du monde et de sa population. La palpitation s’est éteinte nous éloignant davantage encore de la mer nourricière. Les ports de plaisance qui s’y sont substitués, ne sont pas des lieux de vie et de rencontres mais des lieux d’exclusion, d’entre-soi, dont on peine à trouver l’âme…
Nous poursuivons les balades dans la ville, médina, kasbah… Je fais quelques achats, tapis de coursive de cuisine et de pied de lit pour Soa (j’adore les tapis marocain). Bonnets en laine de mouton et de chameau pour moi (les nuits sont fraîches en mer). J’hésite concernant un plat à tajine en inox mais je finis par y renoncer (la place, le poids…).
Petit tajine à midi, le plat cette fois, sur une placette bien sympa (3,8 €). Le soleil est au rendez-vous même si, comme l’on dit, le fond de l’air est frais.
J’en profite pour me faire couper les cheveux. Vieux monsieur sérieux et consciencieux qui prendra sa retraite à la fin du mois (65 ans), le coiffeur officie sans un mot ou presque, très concentré sur sa tâche. Il parle parfaitement français. Son salon est une sorte de couloir de deux mètres de large avec deux fauteuils… et une télévision. Il en profite pour me raccourcir la barbe. Son fils prendra la relève.
Lundi 10 décembre 2018
Journée ravitaillement après une escale Internet chez Océan Vagabond (bistrot à la mode sur le bord de plage, côté ville nouvelle). La gestion des méls et autres, la prise de météo, rendent ce type d’étape indispensable. Sur la plage (2 ou 3 km), les chevaux et les dromadaires font le spectacle. Plutôt petits et racés, les chevaux ont fière allure, leurs cavaliers aussi. Une photo pour Inaya s’impose.
Carrefour ensuite. Moins drôle. Quasi à l’identique de chez nous si l’on excepte le coin où sont placés les vins, dans un espace spécifique, à l’écart du reste. La sortie de l’espace « vins » se fait par l’arrière du magasin et non sur l’avant comme pour les autres achats. Ou, comment faire semblant…
Un autre tapis, plus grand format celui-là, vient compléter mes achats de la veille. D’un rouge profond, il n’est pas trop travaillé. Je fais également quelques achats pour Noël qui approche. Là encore, c’est en priorité sur des cadeaux pour Inaya (ma petite-fille, pour les nouveaux lecteurs) que je concentre mes recherches (bols, chasuble en laine, babouches…).
Dans la kasbah, nous complétons notre avitaillement : pastillas au pigeon, pastillas aux fruits de mer, pains dont des petits au seigle, excellents, crêpes, framboises pour faire de la confiture, grenades, melon…
Durant la nuit quelques réglages d’amarres mais beaucoup moins de mouvements. J’en profite pour mieux observer les manœuvres de départ des chalutiers qui, pour certains, parviennent à s’extirper de l’amas dans lequel ils se trouvent. Marches arrière succèdent aux marches avant où comment déplacer un bateau de trente mètres, cerné par les autres bateaux et ce dans un espace plus que réduit… et tout cela dans le calme ?
Mardi 11 décembre 2018
Journée de départ pour Agadir située 80 milles plus au sud. Entre quinze et vingt-cinq heures de navigation suivant ce que sera vraiment le vent. Les formalités de départ, il faut repasser par chaque case, se font assez rapidement. Le prix du port est, pour ici, élevé (25€). Cela confirme l’adage marocain, moins il y a de services, plus c’est cher. Sur le port, j’achète des chipirons et des oursins. Je renonce aux huitres, trop petites et malgré cela, très chères.
11h00. Les amarres sont larguées… La sortie de la baie se fait tranquillement. Les dix nœuds de vent constatés nous font rapidement hisser la grand-voile et le spi. La mer est belle, il fait grand soleil.
13h00. La bouteille de gaz se meurt peu de temps après notre départ. Mise à la cap, descente partielle de l’annexe sur son support pour libérer l’accès au coffre dédié, branchement du détendeur sur la deuxième bouteille et c’est reparti… tous feux tous flammes… pour ainsi dire.
Minuit. Troisième ris dans la grand-voile pour ralentir notre progression. En lieu et place des 6 ou 7 nœuds de vent annoncés, nous sommes en moyenne à 25 nœuds. Quasi pareil.
Mercredi 12 décembre 2018
7h00. Nous approchons de notre dernière escale Marocaine. Les lumières de la côte et d’Agadir sont désormais bien visibles. Le vent est complétement tombé, la mer est beaucoup plus calme. La nuit a été fraîche pour ne pas dire froide.
10h00. Nous sommes amarrés à l’un des pontons de la marina d’Agadir. Elle fut la première du genre au Maroc. Les formalités d’arrivée réalisées, chacun reprend un peu de sommeil, ce qui ne fait pas de mal.
La balade de l’après-midi me fait retrouver une ville que je connais plutôt bien. Pour ce qui est du centre-ville, elle n’a guère changé depuis mon dernier passage qui pourtant remonte. Le port ou plutôt les ports, sont eux, totalement modernisés. La grande mosquée est toujours belle, son minaret aussi. Le marché central est peu fréquenté durant l’après-midi. Uniprix propose toujours une grande variété de produits. Un peu à court dans ce domaine, j’y fait l’acquisition de deux pantalons plutôt de bonne qualité et bien coupés pour 19,50 € l’unité. Un des couturiers du marché me fera les ourlets séance tenante pour 4 €. Uniprix est l’un des endroits où l’on peut acheter du vin. Tout y est, grands crus de Bordeaux et d’ailleurs et champagnes compris. Les prix sont, par contre, élevés pour ne pas dire très élevés. Dans un tout autre registre, à force de trop charger mon fidèle sac à dos (il doit avoir au moins trente ans), le cuir s’est un peu déchiré au niveau de la couture basse de l’une des bretelles. Le cordonnier du coin me fera une réparation particulièrement soignée et solide pour pas grand-chose.
Jeudi 13 décembre 2018
Les divers numéros de téléphone que j’ai d’Ali et Moha, mes amis marocains, sont obsolètes. Il faut dire que vingt ans sont passés depuis la dernière fois que je les ai vus. L’un et l’autre étant inspecteurs de l’éducation, je me rends à la délégation locale de leur ministère. J’y suis très bien accueilli. Une heure plus tard, grâce aux différents contacts et coups de fils passés par les personnes de la délégation, j’ai le numéro d’Ali. Je l’appelle séance tenante. Moment plus qu’émouvant émouvant sachant que je n’avais pu annoncer mon arrivée. Rendez-vous est pris pour le lendemain.
L’après-midi, nous partons visiter le souk. C’est le plus grand que je connaisse. Je ne sais combien de centaines ou milliers de tonnes de produits, matériels, matériaux, fruits et légumes… y sont présentées mais c’est impressionnant. J’y achèterai des verres pour Ali, une petite théière en inox que j’avais déjà vue ailleurs (mais renoncerai encore au plat à tajine), un kilo de framboises.
Vendredi 14 décembre 2018
Après trois semaines passées à bord, Valérie est partie ce matin.
Ali est venu me chercher pour que je déjeune avec sa famille dans sa maison. Le vendredi est de le jour du couscous. La cousine de sa femme et son mari partagent notre déjeuner.
En fin d’après-midi, Ali, le cousin et moi allons faire une balade sur les restes de l’ancienne ville, en haut de la colline qui surplombe les ports. C’est cette même colline qui porte, en lettres géantes, la devise du Maroc : Dieu, le Roi, la Patrie. La vue sur la baie et la ville est splendide. En plus petit, cela me rappelle la vue de la baie d’Alger, depuis les hauteurs. Le nouveau port de commerce et la marina sont à nos pieds. J’avais pu observer les premiers travaux de la marina il y a vingt ans. Quels progrès ! Par contre, malheureusement non entretenus, les remparts s’écroulent peu à peu. Bien dommage en termes de patrimoine.
Le diner clôturera la journée, crudités et brochettes de viande…
Samedi 15 décembre 2018
Point d’orgue de ses rencontres amicales, Ali, Moha, sa fille Yasmine et moi déjeunons dans un restaurant de poissons connu d’Ali. Les plats sont bons et plus que copieux. Excellent moment partagé.
Dimanche 16 décembre 2018
Mes nouvelles équipières, Karine, Marianne et Hélène arrivent au fil de la journée.
Lundi 17 – mardi 18 décembre 2018
Dans l’espoir de récupérer mes colis tant attendus de matériels, je prends l’avion pour Casablanca. Avant de retrouver Khadija et son fils Yanis qui m’accueillent, j’ai le temps d’aller voir la grande mosquée Hassan II. Située en tout bord de mer, elle est impressionnante, tant par sa taille que par son architecture et le travail de ses façades…
Khadija est la tante de Sarah qui a navigué à bord de Soa quelques jours auparavant. Les diverses démarches qu’elle avait déjà effectuées ne lui avaient pas permis de se voir remettre les colis. Il fallait que je sois présent.
Tandis qu’elle partait faire quelques achats, Yanis, onze ans, et moi, sommes restés seuls. Nos échanges ont porté sur divers sujets, Sarah qu’il adore, la voile qu’il a pratiquée, son école… A son initiative, nous avons ensuite philosophé. « Crois-tu à la destinée ? » m’a-t-il dit. Je lui ai donné mon point de vue, mitigé. Il m’a donné le sien (« tu ne choisis pas ta mort. » D’une intelligence vive, ce garçon, en plus d’être physiquement très mignon, est adorable de gentillesse.
Je lui dédie la citation d’Amin Maalouf, ci-dessous, si bien adaptée à la situation.
Et le destin ? « J’ai l’habitude de répondre que pour l’homme, le destin est comme le vent pour un voilier. Celui qui est à la barre ne peut décider d’où souffle le vent, ni avec quelle force, mais il peut orienter sa propre voile. Et cela fait parfois une sacrée différence. »
Le soir, Khadija et moi dînons dans un des bons restaurants de Casablanca, le Rouget de l’Isle. Le lieu est superbe, le service parfait, les plats et vins excellents. Moment très sympa.
Le lendemain matin, Khadija m’emmène dans les différents lieux qu’elle a déjà eu l’occasion de fréquenter : centre national des Douanes puis centre de dédouanement Chronopost. Ils sont tous situés à proximité de l’aéroport et donc, très à l’extérieur de la ville. Du fait de ma présence, le responsable des Douanes a validé le fait que j’étais encore au Maroc et que je pouvais donc prendre possession, sans frais, de mes colis (300 € sinon). Le responsable de Chronopost, au vu du papier des Douanes, nous a remis, au terme de quelques papiers à remplir et d’une petite somme forfaitaire à payer, mes deux colis. Déplacement gagnant.
Ici, mes remerciements les plus vifs à Khadija sans laquelle tout cela n’aurait pu se passer aussi facilement. Outre l’aspect factuel des colis, le plaisir d’avoir fait sa connaissance et celle de Yanis.
Le voyage est notamment fait de belles rencontres…
L’avion qui me ramène permet de voir au loin les montagnes enneigées de l’Atlas. Superbe spectacle. Ali qui m’avait amené à l’aéroport, a tenu à venir me chercher. Bien facilitant aussi. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons acheter une bouteille de gaz (13 kg), l’une des miennes étant vide. Il en négocie le prix. Avant de repartir, il visite Soa qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de voir. Quand nous reverrons-nous… ?
Mercredi 19 décembre 2018
11h15, Après les derniers préparatifs (mise en pots de la deuxième tournée de confiture de framboises que je viens de faire (Valérie avait fait la première), branchement de la toute nouvelle bouteille de gaz…), après les tampons de sortie des passeports, après une deuxième visite de la douane à bord (il y a un numéro sur le document que la douane de Casablanca vous a donné, où est-il sur l’appareil que vous avez rapporté ??? Nulle part !), mon nouvel équipage et moi larguons les amarres.
Ce départ d’Agadir me fait quitter le Maroc où Anne et moi étions arrivés le 8 novembre.
J’aime ce pays. La gentillesse et la serviabilité des marocains n’est pas un vain mot. Tanger qui fut notre porte d’entrée, est superbe. Elle marie harmonieusement, histoire et modernité. Ses médina/kasbah qui font l’objet d’une grande attention quant à leur restauration, sont remarquables. Elle m’a beaucoup plu. Rabat, un cran en dessous. Salé qui lui fait face sur l’autre rive du Bouregreg, est totalement authentique. Les touristes ne s’y bousculent pas, rien n’est fait pour eux. Fès, que je suis allé visiter en train, est tout à fait typique et intéressante aussi. Elle grouille de monde. Son activité traditionnelle liée au travail du cuir est à voir absolument. Mohammedia, très ordinaire. Casablanca est une grande ville… grouillante, qui ressemble aux grandes villes. Essaouira est, de loin, ma préférée. Son port, en cours de modernisation, est totalement centré sur la pêche. Jour et nuit, il vibre de l’activité des chalutiers et barques dont le balai est incessant. La ville est magnifique, l’ambiance sympa. Marocains et touristes s’y côtoient tranquillement. Sa plage déroule un beau sable que foulent chevaux et dromadaires. Agadir est la station balnéaire la plus fréquentée du Maroc avec ses six kilomètres de baie/plage. Reconstruite après le tremblement de terre de 1960 qui l’avait totalement détruite en quinze secondes, elle a oublié son passé et s’est tournée vers le futur. Son port de plaisance est le premier à avoir été réalisé au Maroc. J’avais pu voir les premiers travaux il y a vingt ans. Son souk, immense, déborde de tout ce qui peut se vendre. Mon désir de Maroc était aussi ailleurs. Je tenais à revoir Ali et Moha que je n’avais pas vus depuis vingt ans… Pas avertis de mon arrivée, nos retrouvailles furent un grand moment.
23 h. Je succède à Karine dans l’ordre des quarts. Hélène et Marianne prendront la relève. A quatre, nous avons décidé de faire des tranches relativement courtes de deux heures, ce qui limite la fatigue et permet néanmoins des durées de sommeil significatives (6h). La houle annoncée est présente mais pas trop marquée. Les quinze nœuds de vent prévus sont là, aussi. Fidèles à notre tactique de ces temps derniers, nous naviguons sous grand-voile seule. Nous avançons aux alentours de cinq nœuds, ce qui est très correct et, en plus, apporte plus de stabilité et donc de confort. La lune qui nous accompagne, déverse sa lumière blanchâtre. Du fait de sa présence, la nuit est la nuit, sans l’être. Voir la mer et ce qui nous environne change grandement la donne. La vision modifie considérablement la perception que l’on peut avoir. Cerise sur le gâteau, il fait doux, ce qui est bien agréable.
Jeudi 20 décembre 2018
7h00. Deuxième quart pour moi. Oh surprise à l’observation de la cartographie, première chose que je fais lorsque je prends un quart, au lieu du cap 250° que nous devrions suivre, nous faisons route au 330° ! Coup de fatigue du pilote ou erreur de manipulation de l’équipier de quart, je ne sais. Soa étant resté sur la même amure (le côté d’où il reçoit le vent), rien ne s’est vraiment senti. Le changement de cap étant récent (1,5 mille), notre route globale n’en est que peu affectée. Il valait quand même mieux que ça ne dure pas trop. Depuis notre départ d’hier en fin de matinée, nous avons bien avancé, nous sommes désormais presque à mi-parcours. Cent vingt mille nous séparent désormais des Canaries.
8h00 les rougeurs du jour nouveau pointent leur orangé. Toujours un beau spectacle.
La journée se passe tranquillement, il fait beau, nous progressons de manière très satisfaisante. La deuxième nuit de navigation ressemble à la première.
Vendredi 21 décembre 2018
7h30. Les lumières d’Arrecife (ile de Lanzarote) sont désormais à portée de main. Le jour n’est encore qu’embryonnaire. Heureusement, nous avions ralenti la cadence en milieu de nuit en roulant le génois. Mes appels VHF à destination du port restent sans réponse. Nous roulons la GV (grand-voile) et installons les pare-battages. L’entrée dans le port se fait facilement (merci la cartographie électronique) la houle étant cassée par la digue d’entrée. Une fois dans le port lui-même, un petit tour de repérage nous permet d’identifier le ponton d’accueil. Par acquis de conscience j’émets un dernier appel VHF et… miracle j’ai une réponse. Ponton d’accueil donc avec marinero en soutien. 9h00 nous sommes amarrés au ponton J pour Juliet. Deux cent dix milles à une moyenne de presque cinq nœuds sachant que nous avions privilégié un certain confort nocturne plutôt que la vitesse. « Pas mal » comme diraient certain-e-s. Ouaf, ouaf…).
Un peu de repos, quelques courses, un déjeuner et une sieste plus loin, j’attaque la découverte de la ville. Un mélange d’Espagne et de Maroc. Côté Espagne, l’Europe (quand je pense que l’Union Européenne déplait à certains, je dois avouer que j’ai un peu de mal à comprendre), la monnaie, les églises (clochers et minarets ont plus de points communs que de différences), l’essentiel de la nourriture, la douceur de vivre, les voitures qui s’arrêtent lorsque vous vous présentez à un passage pour piétons ; côté Maroc, les couleurs (le blanc et le bleu dominent), la douceur du climat, la lumière (superbe de douceur), les chalutiers qui arborent les mêmes couleurs et ont les mêmes formes de coque… Une sorte d’hybridation plus que sympathique, version printemps en hiver.
Afin de confirmer les hypothèses que nous avions faites durant la navigation, nous consultons la météo des jours à venir. Mauvaises nouvelles. Si le temps de demain samedi est conforme aux prévisions précédentes, à l’inverse, des coups de vents successifs (de 30 à 45 nœuds compte tenu de l’accélération entre les iles) sont annoncés pour les trois nuits à venir. Afin de ne pas de prendre de risques, nous patienterons. A voir demain matin.
A titre exceptionnel, les sanitaires du port étant au top, je vais prendre une douche (il parait qu’il faut se laver).
Samedi 22 décembre 2018
La consultation de la météo, à l’unisson du personnel de la capitainerie, confirme les coups de vent à venir. Nous resterons donc à Arrecife le temps qu’ils passent. Cette décision contraint Marianne à rechercher le moyen de se rendre à Tenerife pour prendre son avion le 27. Le bateau, la mer ont leurs exigences avec lesquelles, pour des questions évidentes de sécurité, il est prudent de ne pas transiger… Dans notre vie quotidienne bien tranquille de terrien, nous ne sommes plus guère habitués à ce genre de contraintes. Une leçon de vie.
Anecdote… le « Facebookien » que je suis depuis quatre mois vient d’enregistrer sa 2.000ième consultations. Merci à tous pour votre présence à mes côtés, votre fidélité, vos appréciations, vos commentaires. Ce et ces liens invisibles sont très agréables.
Lundi 24 décembre 2018
La soirée de « réveillon » voit le rassemblement des équipages de voiliers présents dans le port, version, c’est le cas de le dire, auberge espagnole. Plutôt bien approvisionnée d’ailleurs. Des français, des belges, des suisses, des allemands, des autrichiens, des danois… un joyeux mélange. Le problème de la et des langues ressurgit pour certains tandis que d’autres, parfaitement multilingues, sont à l’aise avec tout le monde, passant dans une même conversation d’une langue à une autre. Belle leçon pour le handicapé que je suis.
Le voyage touche ici sa dimension de l’éloignement…
Mardi 25 décembre 2018
La météo semble redevenir favorable. Plusieurs bateaux, comme nous en attente, largues les amarres aujourd’hui. Une houle croisée, très prononcée, nous cueille dès la sortie. Le vent est au rendez-vous pendant un peu plus d’une heure. Contrairement aux prévisions, il tombe d’un coup nous laissant dans une sorte de machine à laver assez peu agréable. Il a dû anticiper la baisse prévue pour la nuit à venir. Compte-tenu de cela, nous décidons de modifier nos plans et de mouiller au sud de Tenerife, derrière la pointe de « Papagayo » et sous la protection de la digue de la marina Rubicon avec l’idée, d’y rester également le mercredi. Les deux jours qui suivent doivent suffire pour rejoindre Tenerife dans les temps.
Mercredi 26 décembre 2018
Papagayo… plage, été en hiver, végétation, montagnes en arrière-plan, jeux d’eau (parachute ascensionnel, jet-ski, baignade…), bien loin de l’hiver hexagonal.
J’en profite pour nettoyer la coque au niveau de la flottaison, la verdure commençant à y poindre.
Jeudi 27 – vendredi 28 décembre 2018
Départ 8h30 de notre mouillage sympa de Papagayo. Un peu de moteur pour démarrer, l’ile nous protégeant du vent. Nous le retrouvons dès que le cap sud-ouest et franchi. Dix nœuds. Nous montons le spi (asymétrique) que nous tiendrons deux heures. Le génois le remplace une fois les dix-huit/vingt nœuds établis. Et c’est parti… sept nœuds de moyenne, pointes régulières à plus de huit, un petit neuf de temps en temps… Grand soleil. Houle marquée. Belles sensations.
Ayant fait plus de la moitié des cent quarante-cinq milles, une fois de plus, nous roulons le génois pour la nuit et ne conservons que la grand-voile. Ça avance encore. Pendant la nuit, lune rousse, lumières de Gran Canaria sur bâbord et rapidement, halo lumineux de Santa-Cruz de Tenerife. Lorsque le jour se lève, les montagnes de Tenerife nous apparaissent vraiment. L’ensemble, auréolé de nuages bas, est aussi massif qu’impressionnant. Les villes et villages visibles sont blottis au pied des montagnes et glissent jusqu’à l’océan.
Vendredi 10 h. Le vent ayant tenu ses promesses de bout en bout, après quelques ronds dans l’eau de repérage, nous nous amarrons à Puerto Chico, Darsena Pesquera, l’un des ports de plaisance dans la partie nord de Santa-Cruz (les commentaires sur les tarifs de la marina de Santa-Cruz ville nous avaient découragés). Le port, mi-pêche, mi-plaisance, mi-autre chose… est calme et sympa. L’accueil des personnels, remarquable de gentillesse et d’attention.
Samedi 29 décembre 2018
Départ et arrivée se succèdent. Tandis que Karine a quitté le bord dans la matinée après avoir passé une quinzaine de jours avec nous, Valérie est de retour pour quelques jours. Appelée à faire partie de l’équipage de transat, maîtrisant Excel beaucoup mieux que moi, elle m’apporte une aide précieuse (elle a notamment finalisé les fichiers des menus et d’avitaillement que j’avais réalisés). Les repas, petits déjeuners et goûter sont quasi définis pour les trois semaines prévues de navigation si Tobago est notre point d’atterrissage (deux et demie si c’est Récife au Brésil). Les quantités sont, pour l’essentiel, calculées…
Dimanche 30 – lundi 31 décembre 2018
Nous mettons à profit le dimanche pour mieux découvrir Santa Cruz. Le bus nous dépose au cœur de la ville. Comme partout en Espagne, l’ambiance est sympa et décontractée. La grande rue piétonne est à l’image de toutes celles des autres grandes villes. Petites places, très beau marché central, statues en tous genres, auditorium remarquable avec sa forme toute en courbe rappelant une vague géante…
Les grands magasins et les supermarchés ne manquent pas. A quelques dizaines de mètres les uns des autres, se trouvent, El Corte Inglès (la star locale, jambon jusqu’à 600 € pièce), Super Dino (une chaîne espagnole), Carrefour et Lidl. Nous en profitons pour faire les courses du diner de réveillon.
Nous passons la soirée à trois, Hélène, Valérie et moi. Nous la débutons par un champagne Deutz du meilleur goût. Olives, toasts de tapenade (rapportés de Salé au Maroc), foie gras, saumon fumé, crumble maison… le tout arrosé d’un très bon Bordeaux. Ayant une heure de retard sur l’hexagone, nous avons largement eu le temps de fêter 2019 avec les français de France avant de franchir ce même cap un peu plus tard.
Mardi 1er janvier 2019
- Nous y sommes donc. Journée relax… ça ne fait pas de mal.
Mercredi 2 janvier 2019
Nous consacrons le début de matinée à finaliser les fichiers d’avitaillement et préciser la liste des achats à effectuer, quantités comprises en fonction des menus établis (documents à venir sur le site de Soa). Nous prenons possession de la voiture de location réservée trois jours plus tôt, en toute fin de matinée. Un déjeuner plus tard au petit restau que nous avions découvert quelques jours plus tôt, nous entamons les courses. Leroy-Merlin ouvre le bal. Très conforme aux nôtres, il n’est pas difficile de s’y retrouver. A Décathlon, la queue aux caisses nous fait fuir… Nous attaquons ensuite la partie la plus sérieuse, l’avitaillement. Pour info, on ravitaille, une fois l’avitaillement mis à mal. Deux chariots, l’un pour le périple Canaries – Cap Vert, l’autre pour la transat. Les additions sont salées, on pouvait s’en douter (500 €). Nous avons trouvé l’essentiel de ce que nous souhaitions. Je ne sais pas combien de kilos ça représente, mais ça pèse. Inenvisageable sans voiture. Une bonne chose de faite conformément aux recommandations de nos prédécesseurs, beaucoup de produits semblant absents au Cap-Vert. L’après-midi complet y est passé.
Jeudi 3 – vendredi 4 janvier 2019
Vacances version découverte de l’ile. Nous consacrons le jeudi à découvrir la partie nord très montagneuse de l’ile. La végétation en touffes occupe la partie la plus basse (plantes grasses comprises), plus haut, les conifères prennent le relai.
Nous poussons ensuite jusqu’à La Laguna, ville qui servit de modèle à la réalisation de plusieurs villes d’Amérique du Sud et de Cuba. Une version « à l’ancienne » fort sympathique. Ici comme partout, les grandes enseignes occupent la rue principale (piétonne) mais elles respectent l’architecture traditionnelle, les façades anciennes… ce qui gomme l’espèce d’oppression que l’on ressent parfois lorsque les vitrines sont à touche-touche.
Direction le sud pour la journée du vendredi. Nous démarrons par la ville de Candeleria et son imposante basilique, premier sanctuaire marial des Canaries (1959). A quelques mètres, côté mer, un impressionnant alignement de statues hors taille, en bronze, représentants des hommes célèbres.
Après le déjeuner pris en face de la basilique (excellente salade d’avocats aux fruits de mer), direction le volcan Le Teide. Il est la troisième structure volcanique la plus haute et la plus volumineuse de la planète, derrière le Mauna loa et Mauna kea à Hawaï. Il est également le plus haut sommet d’Espagne avec 3715 m.
Ça monte sérieusement. Les paysages alternent, identiques à ceux du nord dans un premier temps. Vient ensuite l’épaisse couche de nuages que nous dépassons pour nous retrouver baignés par le soleil, surplombant une sorte de mer cotonneuse. L’air est très frais. Viennent ensuite les paysages de westerns, terre ocre, canyons… Un autre monde. Le noir des roches volcanique est partout. Dépaysement à tous les étages. Nous remettons la voiture le soir. Dans le flux ininterrompu de la circulation, je trouve une place quasi en face du loueur. On doit appeler ça un coup de bol.
Très belles et agréables journées.
Samedi 5 janvier 2019
Hélène est partie hier, Valérie part aujourd’hui, Daniel arrive… ainsi va la rotation des équipiers. Charles nous rejoindra dans les jours à venir, il sera le quinzième du genre… de 23 à 71 ans. Parmi eux, je n’en avais rencontré préalablement que quelques-uns. Pour les autres, contacts par méls, sms, téléphone. Leur présence à bord va de quelques jours pour la plus courte, à presque trois mois (en durées cumulées), pour la plus longue. Cette cohabitation est extrêmement intéressante de diversité du fait des personnalités de chacun, des parcours, des histoires personnelles, des métiers ou centres d’intérêts. Les uns manient les tableaux Excel et les nombres en euros (pas que pour l’avitaillement), les autres accompagnent des patients, construisent ou on construit des ponts, dessinent des immeubles d’habitation, enseignent à des petits ou à des grands, travaillent dans le cinéma ou pour un grand groupe de téléphonie, sont consultants, capitaine de réserve de la Marine Nationale et/ou, chef d’entreprise… Intéressantes rencontres quant à la conception de la vie, aux croyances, aux valeurs sous-jacentes, au rapport à l’argent. Les manières de se nourrir diffèrent beaucoup, de la carotte râpée tous azimuts au saucisson lyonnais et au confits du sud-ouest, tranches de pain badigeonnées de beurre, comprises pour certains. Sur le plan de la voile elle-même, un peu tous les niveaux, de celles et ceux qui ne maîtrisent que le minimum à ceux qui sont déjà chefs de bord. Un équipage de trois personnes parait être le format optimal à bord de Soa. J’ai appris beaucoup, et ai, à une exception près, pris grand plaisir à cette cohabitation. Au final, sur cette partie de parcours, La Rochelle – Cap Vert, le carton est plus que positif.
Dimanche 6 – lundi 7 janvier 2019
Au petit bonheur la chance, Daniel et moi partons voir si le marché central de Santa Cruz est ouvert. Perdu. Nous retentons notre chance le lundi. Encore perdu. Par contre, cette fois-ci, les supermarchés sont ouverts. Nous complétons l’avitaillement en produits frais cette fois.
Nous prenons l’apéritif et dinons à bord du bateau de notre voisin Jules. Ophélie qui s’y trouve avec deux autres jeunes femmes, m’avait contacté pour une place en transat. Ses deux amies aussi d’ailleurs. A défaut de transat, elle descendra avec nous à San Miguel. Bien maigre lot de consolation.
Mardi 8 janvier 2019
Je finalise les préparatifs de départ du lendemain. Remplacement des pompes à eau qui ne fonctionnent pas (elles n’ont jamais bien fonctionné, merci Plastimo), remplacement des poulies de relevage de l’annexe par des plus grosses, changement des bouts de bastaques (renforts de maintien du mat lorsqu’on navigue avec la petite voile d’avant appelée trinquette), nettoyage intérieur et extérieur, pleins d’eau… Ma propre douche pour finir. La journée est passée très vite.
Mercredi 9 janvier 2019
09h15. Après dix jours passés à Puerto Chico, nous entamons notre descente vers San Miguel au sud de Tenerife. Ophélie (capitaine 200 de navigation) nous accompagne donc, Daniel et moi, pour la journée. Peu de temps après notre départ, Charles nous informe qu’il est en possession de son passeport et qu’il prend l’avion l’après-midi même et arrivera peu avant minuit. Pas de chance, pour Tenerife Nord !
Nous descendons sous grand-voile et spi dans un premier temps, sous grand-voile seule ensuite. Après une superbe journée de navigation, San Miguel s’offre à nous peu après la tombée de la nuit. Le marinero de service est un peu à l’ouest… Faute de réponse de sa part, nous nous mettons à couple d’un autre bateau… et devrons ensuite nous déplacer à sa demande expresse…
Charles, que j’ai eu au téléphone au moment de son escale de Barcelone, joue la carte de l’arrivée directe… Il montera à bord à 01h30.
L’équipage est désormais au complet pour rejoindre le Cap-Vert… ce qui est une autre affaire.
Didier